Publié le 07/03/2012 à 18:12 par analysis
Historique du franc CFA
Le FCFA naît officiellement le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Brettons Woods. Il signifie alors « franc des colonies françaises d'Afrique» et est émis par la Caisse Centrale de la France d'Outre-mer. Le but est d’harmoniser le système monétaire des colonies et de réaffirmer l’autorité monétaire dans les territoires que la guerre avait isolés et qui, de ce fait, avaient créé des monnaies locales appuyées sur des devises autres que le franc français ou fonctionnaient avec la monnaie des occupants.
Après leur indépendance, la plupart des anciennes colonies françaises choisissent de rester dans une zone Franc actualisée, répartie en trois ensembles géographiques disposant chacun d‘une banque centrale :
- la BCEAO en Afrique de l’Ouest où le sigle CFA signifie « Communauté financière africaine » et qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo,
- la BEAC en Afrique centrale où le sigle CFA signifie « Coopération financière de l'Afrique centrale » et qui comprend le Cameroun, le Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée-équatoriale et le Tchad en Afrique centrale
-la BCC réduite aux Comores.
Le franc CFA jouit de la « libre convertibilité » qui rend l'échange constamment possible entre toutes les monnaies. La « libre convertibilité » du FCFA le transforme de fait en une monnaie française et imprimer du franc CFA équivaut à créer de l’Euro. D’où l’étroite surveillance de la Banque de France sur les banques centrales africaines dont elle centralise les réserves de change au Trésor français. Chaque Banque Centrale dispose ainsi d’un compte en devises appelé « compte d’opérations » susceptible d’être rémunéré quand il est créditeur et offrant en principe, la possibilité d’un découvert illimité. Dans les faits, des mesures préventives empêchent que les comptes d’opérations ne deviennent durablement débiteurs.
Critiques du FCFA
Mouton noir des économistes francophones, le FCFA concentre un grand nombre de critiques. Il ne permet pas de mener une politique monétaire et son arrimage à l’Euro, monnaie peu flexible et surévaluée, obère considérablement la compétitivité de la Zone dont le bilan économique est nettement moins reluisant que dans les autres pays africains.
Mais plus fondamentalement, cet étrange regroupement, unique dans le monde reprend les anciens rapports coloniaux sous de nouveaux habits. Le mystérieux mécanisme du compte d’opérations n’est qu’une actualisation des vieilles pratiques des empires coloniaux qui empêchaient la conservation de l'or monétaire et des devises dans les colonies. Toutes les devises acquises par les pays de la zone sont concentrées en France qui les rachète subrepticement. Ainsi, lorsque le Cameroun vend en dollars ou en yens, la France ne les conserve pas dans un coffre-fort avec mention « Attention ! Devises du Cameroun, n’y touchez pas ! ». Au contraire elle s‘en approprie et lui remet en échange sa propre monnaie, exactement comme si le Cameroun était une simple province française. De ce processus, il en découle que le FCFA est un véritable Franc Français ou un véritable Euro, ce qui en justifie le contrôle étroit et le terme « arrimage » qui crée l’impression d‘entités indépendantes, mais liées, alors qu’il s’agit en fait d‘une même entité.
Un tel système présente la faiblesse intrinsèque qu’il ne peut bien fonctionner que si l’économie de la France est saine et capable de garantir les échanges de l’ensemble. Mais si sa situation extérieure se dégrade, ce n’est pas seulement ses devises qui sont perdues, mais les devises de l’ensemble de la zone, exactement comme la faillite d’une banque entraîne la faillite de ses épargnants.
C’est dans ce cadre que s‘inscrit le vent de panique suscité par les récentes difficultés de la France et la perte de son « triple A », vécu comme un prélude à une éventuelle dévaluation du FCFA. Nonobstant les assurances des autorités monétaires qui s’appuient sur la bonne situation extérieure des pays de la zone pour démentir une telle éventualité, les inquiétudes ont justifiées : de fait, si la France avait encore son Franc, les choses seraient simples, car elle le dévaluerait simplement pour restaurer sa compétitivité. Malheureusement son insertion dans la monnaie européenne ne lui donne pas cette possibilité et, si la crise s‘aggrave, elle sera bien obligée de procéder à un profond ajustement structurel et de dévaluer la seule partie flexible de sa zone monétaire, à savoir le Franc CFA.
La dévaluation apparait donc inéluctable si la dépression économique s‘aggrave en France. Cette hypothèse suscite une telle levée de bouclier qu’on pourrait s‘attendre une révolte généralisée des pays de la zone et par suite, à sa déplétion, voire son démantèlement. Dans les faits, une telle inquiétude est naïve et ne tient pas compte des données de faits : d‘un côté, ce sont les pourfendeurs du FCFA qui ont fourni à la dévaluation son justificatif de premier ordre, en criant sur tous les toits qu’à travers son arrimage à l’Euro, le FCFA était surévalué. La France aura beau jeu de présenter une telle dévaluation comme une réponse à leurs récriminations. Mais plus fondamentalement, le niveau économique de ces pays fraîchement sortis d’une longue crise, les habitudes et la fragilité de pouvoirs politiques qui souvent ont besoin de l‘onction française ne leur donnent qu’une faible marge de manœuvre pour une telle émancipation. Il faudrait plutôt s‘attendre à des réformes plus ou moins profondes de la zone qu’à sa destruction.
Intérêt réel du FCFA
Pourtant, un pays courageux pourrait être tenté de sortir de la zone et il faut le dire, des mécanismes de tels départs sont prévus dans les accords. Le Mali en 1962 et Madagascar en 1973 l’ont expérimenté, mais à la suite de graves difficultés, le Mali a réintégré le système en 1984, ce qui a renforcé la cohésion des pays membres et inhibé le désir de nouvelles fugues.
Le problème de fond n’en reste pas moins le même : quel intérêt de rester dans la zone Franc et pourquoi ne pas simplement créer une monnaie nationale souveraine ? Pour y répondre, il faudrait rappeler que la monnaie est avant tout un pouvoir d’achat, une sorte de « reçu anonyme » certifiant que son détenteur dispose d’une richesse acquise par son travail et qu’il peut échanger avec le fruit d’un travail équivalent à l’intérieur d’une communauté déterminée. Cette qualité ne dépend ni de la taille de la Communauté, l’essentiel étant que la mase monétaire soit le reflet exact de la production.
La création d’une monnaie nationale n’est donc qu’un simple acte politique dont la mise en œuvre est relativement simple et facile. Mais toute monnaie nationale court deux principaux risques. Le premier est l’altération de la masse monétaire par la contrefaçon (faux-monnayeurs), la mauvaise gouvernance (usage abusif de la planche à billets) ou le sabotage (injection de la fausse monnaie par une puissance ennemie). Le second est l’altération du pouvoir d’achat, qui ne concerne pas la masse monétaire, mais la stabilité du pouvoir d’achat qui peut se déliter : quand la balance des paiements menace de basculer dans un déficit durable, le pays tente de s’en sortir en baissant son taux de change dans l’espoir que les biens importés se surenchérissant, l’industrie locale gagnera en compétitivité et l’équilibre sera restauré. Le succès n’est cependant acquis que si les écarts technologiques le séparant de ses partenaires ne sont pas trop importants et que l’industrie locale peut en profiter. Faute de quoi la démarche entraîne une spirale de dévaluations qui finit par dégrader totalement la monnaie.
L’intérêt du FCFA s’inscrit essentiellement dans le cadre de ces risques : il retire la gestion de la monnaie des mains des dirigeants africains dont la versatilité et l’irrationalité sont connues et stabilise le pouvoir d‘achat. Mais dans l’absolu, on peut obtenir les mêmes résultats avec une monnaie nationale si les dirigeants sont sérieux et disciplinés.
Quant aux autres arguments en faveur du FCFA, il s‘agit davantage des vues de l’esprit que de réalités fonctionnelles. On évoque ainsi sa crédibilité internationale qui améliorerait les échanges extérieurs, mais le commerce international est un troc, et dans ce troc, chaque pays importe l’équivalent de ce qu’il a exporté. Pas plus, ni moins. Dans ces conditions, les règles de change entre les diverses monnaies ne sont qu’un mode opératoire qui facilite les échanges, mais qui ne modifie pas le fait fondamental qu’on n’achète que l’équivalent de ce qu’on a vendu. L’appartenance à la zone FCFA ne crée pas le pétrole ou les champs de cacao, et par suite, ne joue qu’un rôle marginal dans les capacités productives du pays.
L’existence de la caisse commune que représente le compte d’opérations offre des possibilités de crédits entre les membres, mais ce n’est qu’une virtualité qui dans les faits, n’a pas d’intérêt pratique puisque de mécanismes contraignent chaque pays à vivre de ses réserves. Quant à l’intensification des échanges régionaux que favoriserait le FCFA, les flux commerciaux entre le Nigeria et le Cameroun montrent que le volume des échanges dépend davantage de la puissance des appareils productifs que d’une monnaie commune.
En définitive, les avantages qu’offre le FCFA sont relativement marginaux, en dehors de celui d’être transnational, et relativement indépendant des pouvoirs locaux.
D’un autre côté, une monnaie nationale n’a d‘intérêt que si l’Etat peut l’utiliser pour agir sur deux leviers dont l’un est interne et l’autre extérieur. Sur le plan intérieur, l’Etat peut augmenter les capacités productives du pays en dirigeant sélectivement, par une politique adéquate du crédit, les ressources nationales vers les entreprises. Sur le plan extérieur, il peut doper la compétitivité en dépréciant ou en dévaluant la monnaie. C’est précisément ce que le Professeur Tchuindjang avait vu en 1979, au moment où le Cameroun produisait entièrement ou en partie, les postes radio, les habits, les réfrigérateurs, les vélos ou les chaussures importe aujourd’hui jusqu’aux cure-dents. Il y avait quelque chose à protéger et des possibilités de produire et c’est à ce moment là qu’on aurait pu, avec quelque pertinence, créer une monnaie nationale.
Aujourd’hui les choses ont changé : la brocante européenne et la pacotille chinoise ont annihilé toute possibilité d‘une industrie d’import-substitution et le pays importe tout. L’octroi des crédits à notre secteur productif a très peu de chance de produire un impact sensible sur la production nationale, car la plupart des entreprises sont d’office condamnées par la concurrence particulièrement corrosive que leur mènent les ballots de friperie qui s‘amoncèlent au port de Douala et le bric à broc qui inonde nos hameaux les plus isolés en provenance de Shanghai.
Ce n’est donc pas l’appartenance à la zone franc qui empêche notre décollage, mais la destruction du biotope lui-même, c’est-à-dire l’environnement qui doit permettre à nos entreprises de vivre et de prospérer. Dans ces conditions, une monnaie nationale souveraine ne nous apporterait rien : la souplesse qu’elle est censée donner ne permettant pas aux entreprises de profiter d’une dévaluation pour gagner en compétitivité, elle peut même devenir un luxe dangereux, avec cette possibilité de la monnaie de se déliter indépendamment des erreurs de gouvernance.
Le problème actuel du Cameroun est la restauration de son biotope, condition impérative pour rendre une industrialisation envisageable. Mais pour cela, nous devons courageusement renoncer à l’idéologie mortifère de la Compétitivité qui développe en nous l’espérance déraisonnable de battre des ogres titanesques tels que la Chine, le Japon, l’Union Européenne ou les USA. Plus sagement, nous devrions opter pour la stratégie de l’Evitement, qui consiste à nous intégrer dans l’économie mondiale dans la mesure du possible, tout en créant un Système d’Echange Local qui permette l’expression des facteurs de production étouffés par la compétition extérieure. La solution est la mise en circulation d’une seconde monnaie totalement inconvertible évoluant simultanément avec le FCFA actuel.
L’avantage de cette solution appelée « monnaie binaire » et qu’elle est très peu coûteuse sur le plan économique, politique et diplomatique tout en étant très efficace. En outre, elle est parfaitement compatible avec le FCFA, y compris lorsqu’elle est limitée dans notre pays. La Monnaie binaire transforme les pénalités actuelles du FCFA en avantages.
Plutôt que de se lancer dans des initiatives aventureuses, il parait plus raisonnable d’entamer des négociations avec la BEAC pour voir dans quelle mesure elle pourrait abriter et encadrer techniquement un « Institut d‘émission de la Monnaie Locale du Cameroun ». Cette institution qui relèverait de l’Etat du Cameroun, fonctionnerait comme une sorte de Banque Centrale dont le champ de compétence est limité à la Monnaie Locale.
Dans le passé, la Zone Franc a montré de grandes capacités d’adaptation. Elle peut fonctionner avec une telle institution et c’est à travers de telles possibilités qu’elle pourrait évoluer pour l’intérêt de tous, abandonnant ainsi son image de verrou pour la croissance africaine.
Dieudonné ESSOMBA
Ingénieur Principal de la Statistique
Cadre au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire du Cameroun (MINEPAT)
Auteur du livre « Une Voie de Développement pour l’Afrique : la Monnaie Binaire »
Publié le 07/03/2012 à 18:08 par analysis
L’un des engagements forts du Chef de l’Etat lors de la récente campagne présidentielle était qu’à partir de Janvier 2012 le Cameroun devait être en chantier. Devant le retard de deux mois pris pour cette promesse, on peut soit prôner la patience en faisant référence aux divers préparatifs en cours si on est de son camp, soit l’incorporer dans la longue série d’autres promesses jamais tenues si on est dans l’autre camp.
Mais à côté de ces positions militantes, la question de fond reste la capacité réelle du Cameroun à réaliser les Grands Projets. La construction d’un port, d‘un barrage ou d‘une autoroute requiert des équipements lourds qui doivent être importés. Or contrairement à ce qu’on pense, cette technologie ne s’achète pas avec le FCFA mais avec les devises c’est-à-dire, l’argent obtenu avec la vente de nos matières premières. Il faut insister sur ce point qui est à l’origine d’une grande confusion : au Cameroun, le planteur du cacao génère le même Franc CFA que le coiffeur ou l’enseignant. Mais du point de vue des capacités à importer, seul le travail du planteur compte, car c’est lui qui peut être échangé avec un bien étranger, le commerce international étant un troc. On voit donc que nos capacités à importer ne sont pas reliées à notre PIB, mais seulement à nos exportations qui correspondent grosso modo à 20%. La conséquence est que toute somme d‘argent ne dispose que d’une capacité d’achat à l’extérieur de 20% également. Cette conclusion peut paraître étonnante notamment parce que le FCFA est supposé indéfiniment convertible en Euro. En réalité cette convertibilité n’est valable que si nous ne consacrons moins de notre masse monétaire aux achats extérieurs. Au-delà, elle disparaît : c’est pour cette raison que les entreprises européennes n’acceptent de marché au Cameroun que si le paiement se fait pour 70% en Euro et 30% en FCFA, ce qui n’aurait pas de sens si la convertibilité était totale.
Si on a compris que seules, les devises procurées par nos exportations (et dans une certaine mesure, les transferts de la diaspora et les aides) peuvent nous permettre d’acheter à l’extérieur, on voit bien le problème qui bloque la réalisation des investissements. De fait, une très grande partie de ces devises est consacrée à l’achat de la friperie, des téléviseurs, du riz ou des voitures dont le volume a tendance à s’amplifier avec la croissance naturelle de la population, mais aussi avec la scolarisation et l’urbanisation qui modifient le profil de consommation en faveur des produits importés car il est de fait constant que ce sont le citadins et les intellectuels qui ont le plus tendance à avoir des véhicules. La demande de ces produits de consommation courante augmente de manière explosive, débordant largement les recettes en devises procurés par le cacao, le café ou le pétrole qui ont tendance à plafonner. Le pays se trouve dans l’impossibilité de dégager les devises nécessaires pour répondre à ses besoins d’investissement, et la première conséquence apparaît dans l’incapacité du pays à assurer la maintenance de l’appareil de production : les coupures d’eau, d’électricité, la dégradation des routes s’inscrivent ainsi dans ce registre.
De manière opérationnelle, la limitation des dépenses en devises se passent de la manière suivante : quand un Camerounais veut acheter un bulldozer, il dépose son argent à la BEAC qui vérifie s‘il y a assez de devises dans ses réserves, c’est-à-dire si nous avons déjà vendu à concurrence de ce que nous voulons acheter. Dans le cas favorable, la BEAC émet une autorisation d‘achat appelée « Crédit Documentaire » (CREDOC) qui rassure le constructeur étranger sur notre capacité à payer en devises. Dans le cas contraire, l’achat ne peut pas se faire (sauf en cas d‘endettement).
Supposons maintenant que pour construire une route, l’Etat avance une somme à une entreprise de travaux publics. Cette entreprise va tenter d‘utiliser cette avance pour acheter un bulldozer. Comme il n’y a pas assez de devises pour tous les demandeurs, l’entreprise sera obligée de rejoindre la longue file d’attente des CREDOC à la BEAC, CREDOC qui ne sont délivrés qu’au compte-goutte, au fur et à mesure que les devises apparaissent. Une attente interminable qui se traduira, à la fin de l’année, par une énorme masse de FCFA inutilisée devant des projets non réalisés.
Les entreprises sérieuses n’accepteront pas ce genre de marché sans s‘être entourées de solides garanties et surtout, elles exigent d’être payées en devises. Comme le Cameroun n’en dispose guère, il se retrouve obligé de se contenter de francs-tireurs, cette foule d’opérateurs généralement locaux dont les capacités opérationnelles sont dérisoires. Ainsi une route majeure comme l’axe Yaoundé-Bertoua-N’Gaoundéré sera confié à ces francs-tireurs qui tenteront cahin-caha de le mener, au rythme de vieux engins rafistolés.
Cette circonstance ouvre objectivement la voie à tous les dérapages : le verrouillage des CREDOC réduit la vitesse d’exécution des opérations d’investissement, entraînant des surcouts qui aggraveront la faiblesse de ces entreprises déjà peu fiables, les acculant à des tractations avec les circuits financiers de l’Etat et aggravant la déperdition des ressources. Au terme du processus, les investissements resteront au niveau des esquisses ou seront mal réalisés, suscitant des accusations de détournements de fonds publics. En fait les dés sont pipés dès le départ et il est assez symptomatique que de telles accusations touchent en priorité les gestionnaires les plus volontaires, ceux qui justement, tentent imprudemment de se faire valoir à travers des réalisations rapides et spectaculaires. En tout état de cause, la situation n’autorise que deux types de gestionnaires : ceux qui sont assez prudents pour ne pas engager les fonds publics et qui acceptent d’assumer la sous-consommation des crédits, et ceux qui tentent de forcer le destin et dont l’imprudence conduit à la dilapidation d’un argent vide dans des opérations irréalisables les exposant aux accusations. Mais il sera très rare de rencontrer un gestionnaire capable d’utiliser correctement les fonds publics tout en réalisant les investissements prévus.
La situation de Grands projets s’éclairent à partir de ces analyses : le Cameroun n’a pas assez de devises pour réaliser les Grands Projets. Dans ces conditions, il reste le recours aux emprunts extérieurs et c’est bien la voie qu’ont choisi les pouvoirs publics, si l’on en croit les multiples rencontres qu’ils organisent avec les bailleurs de fonds. Il faut d’abord le dire tout net, les instituions telles que la Banque Mondiale sont d’office opposées à ce genre de programme, trop ambitieux et irrationnel à leur goût et elles ne se privent pas de le faire comprendre à l’occasion. Une position qui nous exclut d’office des marchés financiers où ces institutions jouent un rôle majeur.
Quant au financement par un partenaire bilatéral, il faut dire qu’il obéit à une démarche factuelle canonique : supposons que la Chine accepte de financer la construction du barrage de Memvele. Elle ne nous donne pas son argent, au risque de nous voir confier le marché aux entreprises d’une autre puissance, mais négocie un contrat de réalisation. Cette négociation est suivie par une loi de ratification de l’accord de prêt de notre Assemblée Nationale qui engage le Cameroun d’aujourd’hui et de demain de manière irréversible. Quand cette loi est votée, la Chine envoie des entreprises très puissantes dont le temps se chiffre en milliards par jour et qui viennent réaliser le marché en un temps très court.
C’est dire que si un partenaire avait déjà accepté de financer un de ces projets, celui-ci serait réalisé depuis longtemps et on n’en parlerait plus ; la vérité est que personne n’a encore accepté de le faire et pour cause, le Cameroun n’a pas les moyens de rembourser une telle dette. Car il ne faut pas oublier que l’endettement n’augmente pas les ressources : il permet simplement d’utiliser par anticipation des ressources à venir. Or de ce point de vue, les perspectives en termes de capacité de remboursement restent faibles.
Mais alors, comment interpréter les accords médiatisés de financement ? Il faut plutôt y voir un simple jeu diplomatique : quand notre gouvernement invite ces partenaires pour les négociations, la France, la Grande Bretagne, les USA ou encore le FMI et la Banque Mondiale qui s’estiment capables de dire ouvertement non au Gouvernement le font, alors que les autres font semblant d‘accepter, mais truffent leur accord de conditions irréalisables.
Les Grands Projets butent donc sur l’incapacité de notre système productif à dégager suffisamment de devises pour les réaliser nous-mêmes ou pour susciter l‘intérêt des financements extérieurs. Cette réalité qui crée un verrou difficile à lever est malheureusement masquée par trois illusions. La première vient de cet immense potentiel minier dont recélerait le Cameroun. Mais à l’évidence, il s‘agit là d’une confusion entre les réserves qui sont une réalité physique et les ressources qui sont une réalité économique. Une réserve ne devient une ressource que si, par rapport au prix international, elle est rentable. Or la rentabilité des gisements miniers du Cameroun est assujettie à un grand nombre de contraintes qui sont très difficiles à lever : ainsi, nos gisements de fer qui sont considérables ne peuvent intéresser les investisseurs que si nous-mêmes avons déjà construit le chemin de fer. Evoquer ces réserves pour financer nos grands projets, c’est exactement faire comme un habitant de l’Est qui, ayant constaté qu’un camion de sable coûte 120.000 FCFA à Yaoundé, évalue les camions que peut produire le sable de son champ, oubliant qu’il y a un sable plus compétitif dans la périphérie de Yaoundé.
La seconde fausse idée porte sur la capacité d‘endettement du Cameroun. La dette publique du Cameroun avait atteint le niveau explosif de 132% du PIB en 1994, ce qui devenait intenable. A la suite de la dévaluation, des remises et des mesures d’ajustement, cette dette a été très largement apurée, ne représentant plus que 11% du PIB en 2008. Depuis cette date elle a légèrement remonté, mais elle reste faible. Ce n’est pas pour autant que le Cameroun dispose d’une importante marge d’endettement ! En fait, ce faible endettement n’a aucune signification économique puisqu’il n’est pas relié à la performance de notre système productif, mais simplement à la prise de conscience que par rapport à nos capacités, c’est le maximum qu’on peut supporter. Et c’est plutôt cela que voient les milieux financiers.
La troisième illusion vient du nouveau dieu malfaisant qui serait à l’origine de nos maux, à savoir, la mauvaise gouvernance des élites camerounaises. Le danger de cette explication n’est pas dans le fait qu’elle soit fausse, mais parce qu’elle élude les problèmes de fond, en laissant notamment croire qu’il suffirait d’avoir des Camerounais saints au sommet de l’Etat pour que tout marche sur des roulettes, ce qui n’est pas vrai. C’est un argument facile, vicieux et populiste qui tire son attrait de l’hostilité suscitée par les écarts de revenu entre les gestionnaires et le reste et la population, mais sa valeur explicative est nulle. En fait, elle joue plus le rôle d’un instrument d’absolution de la colonisation et permet d’imputer la situation africaine à ses propres élites. En outre, la nature vague du concept qui peut incorporer dans une immense confusion, aussi bien les défauts réels des Camerounais que les erreurs stratégiques des bailleurs de fonds, permet de dédouaner subrepticement ces intervenants extérieurs de leurs échecs.
Ces illusions font très mal au Cameroun puisqu’elles empêchent ‘envisager la réalité avec sérénité. En fait, si les Grands Projets ne sont pas réalisés, c’est simplement parce que le Cameroun ne dispose pas d’assez de devises pour le faire et la gouvernance n’a rien à voir là-dessus. Cette observation ne signifie pas qu’il est impossible de les réaliser, mais qu’il faut utiliser une méthode plus conforme à nos ressources réelles. Qui trop embrasse mal étreint : on n’a pas idée, dans un pays qui sort à peine de la crise et qui arrive difficilement à maintenir en état ses routes déjà existantes, son réseau d‘eau ou d’électricité s’éparpiller dans des infrastructures aussi lourdes que le chemin de fer, les ports, les barrages ou les autoroutes. Le Cameroun ne sera pas construit en un jour, mais au cours du temps et il est inutile de se mettre sous pression. Le plus sage consiste à dissoudre toutes les Commissions parasitaires et dispendieuses qui pullulent autour des Grands Projets et de choisir une seule opération, de la réaliser, puis de passer à une autre et ainsi de suite. De cette manière, le Président de la République serait capable de réaliser à l’issue du septennat trois Grands Projets, ce qui n’est peut-être pas ambitieux, mais qui est faisable.
Simultanément, il faudrait purger nos importations de tous ces bibelots et autres friperies qui les encombrent et réduisent la portion des achats consacrés aux biens de production. Pour cela, il faudrait restaurer les capacités productives du Cameroun détruites par l’importation de la brocante européenne et de la pacotille chinoise. C’est bien ce que s‘acharne à faire le gouvernement ; malheureusement, la meute d’experts internationaux qui nous harcèlent de leurs conseils nous pousse dans l’idéologie fallacieuse de la compétitivité qui n’a aucun sens pour un pays aussi faible que le Cameroun. La seule solution et une stratégie d’évitement, sous la forme de la Monnaie binaire.
Publié le 07/03/2012 à 18:05 par analysis
L'activité agricole est toujours restée au centre des préoccupations des gouvernements camerounais. Une vision rétrospective du secteur de 1960 à nos jours dégage un vaste panorama d’expériences où se détachent les Missions d’encadrements, les Sociétés d’Etat, les multiples mécanismes d’appuis aux producteurs (financement, distribution d’intrants, campagnes phytosanitaires etc.), des Banques spécialisées et, plus récemment des Programmes.
Si on peut s’accorder que quelques résultats ont pu être obtenus, d’une manière générale, toutes ces initiatives ont été en deçà des attentes. A l’évidence, une grande partie des échecs est imputable à des problèmes de gouvernance opérationnelle, mais on peut aussi incriminer les défauts de conception de ces mécanismes dont les modes opératoires se sont révélés mal adaptés à un environnement complexe, discontinu et essentiellement informel.
Une économie nationale est un organisme où toutes les parties interagissent ; un programme agricole peut être totalement inopérant si des mesures connexes ne sont pas simultanément prises dans d’autres secteurs. Il en découle la nécessité d’avoir une vision globale de l’architecture du système qui définit les conditions macroéconomiques de viabilité d’une politique agricole. Une telle approche éviterait cet interminable et onéreux chapelet de solutions qui se réduisent le plus souvent à de simples dispositifs formels, opposant mécaniquement aux problèmes de fonds des solutions simplistes et des procédures, sans efficacité et sans impacts réels.
Le présent article vise à mettre en évidence deux problèmes essentiels qui, de manière radicale, rendent très problématique la réussite d‘une politique agricole au Cameroun. Le premier a trait aux difficultés d’intégration d‘une chaine productive dont les segments présentent d’importantes hétérogénéités technologiques, ce qui crée de graves discontinuités dans la filière et obture toute perspective de créer un tissu de PME agricoles viables. C’est le problème de la connivence de filière agricole. Le second, appelé verrou de la contrepartie extérieure, se situe à un niveau plus élevé et explique comment malgré les évidences, un potentiel agricole peut devenir inopérant.
I. LA CONNIVENCE DE LA FILIERE AGROINDUSTRIELLE
Il est instinctif de se demander devant les mangues qui pourrissent sur le marché ou la mévente de certains produits comment on n’arrive pas à les utiliser pour l’activité industrielle. Une telle interrogation, très répandue, traduit la méconnaissance profonde des lois de l’économie. Au Cameroun, il existe une grande hétérogénéité des modes de production qui vont de la petite plantation artisanale, réalisée au sein des familles avec des houes, jusqu’aux agro-industries disposant d’importants capitaux, une mécanisation lourde, une gestion formelle et une vocation exclusivement marchande. Les débouchés de ces modes de production comprennent l’autoconsommation, la vente sur les marchés urbains, les exportations et la livraison aux industries.
Mais il est important de noter que certains modes de production ne sont pas compatibles avec certains débouchés. Ainsi les entreprises industrielles utilisant les produits agricoles comme matières premières ont un fonctionnement stable, fondé sur des salaires réguliers, un rythme de production homogène, toutes contraintes qui les obligent à la prévisibilité, l’approvisionnement massif et une certaine stabilité des prix.
Par contre, l’agriculture artisanale fournit une production dont le volume peut être très élevé, mais en raison d‘une faible maîtrise des techniques sophistiquées, ce volume est trop tributaire du climat, de la qualité des terrains, des surfaces cultivées qui se modifient chaque année, du nombre d’opérateurs qui connaît d’importantes fluctuations et des incitations publiques plus ou moins intenses. Il en découle une offre agricole très instable qui se traduit par des prix très volatiles, totalement incompatibles avec le fonctionnement d‘une entreprise industrielle.
A cette instabilité intrinsèque de l’offre artisanale s’ajoutent les effets de marée de la demande des marchés urbains : même si des paysans s’engagent solennellement à livrer leur production aux industriels, ils ne le feront que si le prix les arrange, mais tenteront d’y échapper et de l’écouler sur d’autres marchés où les prix sont plus intéressants, ce qui est rendu facile par leur éparpillement sur le territoire.
On peut citer un grand nombre d’autres caractéristiques qui rendent la production artisanale impropre à l’approvisionnement industriel, d’où sa connivence avec l’autoconsommation et les marchés urbains, où les prix et les quantités offertes évoluent d‘heure en heure et de manière toujours imprévisible.
Les industries préféreront s’approvisionner à l’extérieur à des conditions plus maîtrisables. La seule possibilité où la production artisanale peut intéresser les industriels est que le produit présente, de par ses caractéristiques, une impossibilité pratique d’être détourné et que ses coûts de collecte ne soient pas trop élevés, ce qui ne s’applique que sur quelques rares produits (hévéa).
Les PME agricoles apparaissent comme la solution au marché industriel et c’est au fond l’essence de la politique agricole. Mais leur développement est confronté à un grave écueil. De fait, au fur et à mesure qu’une exploitation se modernise, elle incorpore le salariat, une administration, des services d‘approvisionnement, et d’autres mécanismes qui lui imposent un grand besoin de trésorerie, la sécurité des débouchés et la nécessité d‘anticiper les prix et ses recettes. Les marchés urbains dont les prix sont volatiles et imprévisibles ne peuvent plus lui servir de débouché et la seule issue devient le marché industriel.
Mais d’un autre coté, le marché industriel ne peut être ouvert aux PME que si celles-ci atteignent un certain volume de production et une certaine structuration leur permettant de respecter le rythme des approvisionnements et d’échapper à la déstabilisation permanente de l’offre des marchés urbains. La condition minimale pour que ces exigences soient respectées est que les PME atteignent un nombre suffisant, appelé seuil critique.
Et c’est ce seuil critique qui pose problème car il est très difficile à atteindre. Supposons par exemple qu’il soit de 100 PME agricoles et que le gouvernement instaure un programme de développement qui permette d’en créer 25. Comme ce nombre est inférieur au seuil, elles ne peuvent pas intéresser les industries. Mais d’un autre coté, elles ne peuvent pas appuyer leur développement sur les marchés urbains dont l’instabilité est incompatible à leur mode de fonctionnement. Trop peu nombreuses pour profiter du marché industriel, trop modernes pour survivre avec les marchés urbains, elles ne disposeront pas d’un marché adéquat et vont péricliter.
La seule possibilité pour rendre ces PME viables est de mettre sur pied tous le 100 à la fois ce qui et au-dessus des forces d’un pays comme le Cameroun.
La non-connivence est un verrou fondamental qui rend impossible le développement d’un tissu de PME agricoles. Pour en sortir il faudrait créer artificiellement les conditions d’un marché connivent, à travers un mécanisme qui rassure les PME d’un débouché stable et intéressant, plus conforme à leur mode de production, en même temps qu’il propose aux industries des conditions d’approvisionnement moins risquées. Un tel mécanisme prendrait la forme d’une Société de Développement de l’Agriculture Moderne (SODAM) qui cumulerait successivement les fonctions de :
- Magasin Général, dont l’objet est de gérer des entrepôts, où dans le cadre d'une opération de crédit, des commerçants, des industriels, des agriculteurs ou des artisans déposent des marchandises ou des produits pour être warrantées.
-Centrale d'achat, avec pour objet de regrouper les commandes d'un ensemble d’industriels et la centralisation de la production agricole ;
-Caisse de stabilisation et de soutien des prix, avec pour but de constituer un intermédiaire entre les producteurs et les négociants en vue de stabiliser les cours. Elle achète la production à un cours fixé à l'avance et le stocke, puis le vend aux industriels.
-Assurance Agricole
-Centre d’Information.
La SODAM éliminerait le verrou constitué par le problème des débouchés de l’agriculture moderne du Cameroun, car il est évident que si les PME pouvaient bénéficier des prix fixés d’avance suffisamment incitatifs, elles commenceraient à prospérer d’elles-mêmes. En permettant à la production locale d’approvisionner le marché industriel à des conditions de stabilité de prix et de garantie de quantité, en même temps qu’elle fournit un débouché stable et prévisible aux PME agricoles, une telle structure créerait les conditions de leur développement.
LE VERROU DE LA CONTREPARTIE EXTERIEURE
Le Verrou de la contrepartie extérieure est un frein macroéconomique qui trouve sa source dans l’évolution économique du Cameroun. Lorsque le Cameroun accède à l’indépendance, il est assigné à l’agriculture deux missions essentielles.
-Le premier porte sur son rôle traditionnel de nourrir la population comme cela avait été le cas depuis la nuit des temps. Cette option, qui s’était incarnée dans le mythique slogan « autosuffisance alimentaire », apparaissait aller de soi, car en en dehors de la zone sahélienne objet de famines sporadiques au rythme des sécheresses, le Cameroun n’avait pas de problème alimentaire.
Néanmoins, les pouvoirs publics avaient identifié quelques défis qu’il fallait surmonter à plus ou moins long terme. Tout d’abord, il y avait l’extension naturelle de la population dont la demande alimentaire ne pouvait être indéfiniment satisfaite avec les modes culturales archaïque qu’il fallait rapidement améliorer. En outre avec l’augmentation du niveau intellectuel et l’urbanisation, la population incorporait dans sa consommation de nouveaux biens alimentaires tels que le pain ou le sucre. L’Etat avait tenté d‘y répondre en acclimatant le blé (SODEBLE) ou en créant des entreprises répondant à a nouvelle demande (CAMSUCO).
Le second rôle que devait jouer l’agriculture était la production de devises. Pour en comprendre l’intérêt, il faut se souvenir que le commerce international n’est qu’un troc : pour qu’un Camerounais importe une voiture, il faut que d’autres Camerounais aient exporté une valeur équivalente en cacao, café, coton, bois, pétrole, etc.
Au début de l’indépendance la seule possibilité du pays d’avoir ces devises était les produits agricoles. D’où une vigoureuse politique d’encadrement des planteurs dans les produits de base, à quoi on pouvait ajouter de grandes plantations industrielles telles que HEVECAM ou la CDC.
Les devises générées par ces activités étaient très importantes. Mais comme la population était essentiellement rurale et fortement ancrée dans l’autoconsommation, elle ne consommait pas grand-chose de l’étranger. La consommation ne pesait pas sur la balance extérieure et l’Etat pouvait recycler ces devises en investissements productifs. D’où un taux de croissance annuel supérieur à 7% entre 1960 et 1987.
Malheureusement, ce développement créait lui-même son propre frein : en multipliant les écoles et les unités administratives, il gonflait en même temps le nombre d’intellectuels et la population urbaine, transformant ainsi une population qui produisait essentiellement les devises en une nouvelle population qui ne fait que les consommer. N’ayant pas pu ou su créer une industrie locale d’import-substitution qui aurait pu réduire cette pression aux achats extérieurs, le système productif s’est retrouvé totalement déséquilibré : la confrontation entre une demande explosive des devises face à une offre peu dynamique ne pouvait pousser le système productif que dans un déficit permanent de la balance extérieure dont il lui est impossible de sortir.
L’une des conséquences majeure de cette situation a été l’impossibilité de développer l’agriculture, à moins d’endetter le pays. Ce point est capital, car il révoque ce secteur du rôle privilégié que lui attribuent un grand nombre de personnes. La raison en est la suivante : la modernisation du secteur agricole n’est pas dissociable des machines et autres intrants qu’il faut importer et payer avec des devises.
Mais là n’est pas le problème, car les coûts de tels biens ne sont pas trop élevés et il est possible d’exporter une partie de la production en contrepartie. La difficulté apparaît avec l’utilisation que font les producteurs agricoles de leur argent. En effet, en améliorant sa production, on améliore en même temps le revenu de l’agriculteur et par suite, on modifie son profil de consommation au profit des biens manufacturés. Et de fait, on ne le verra pas se ruer sur les bâtons de manioc ou les paniers en roseau fabriqués par son voisin, mais sur le téléphone cellulaire, la télévision et la voiture qui sont importés.
Et comme les paysans sont très nombreux au Cameroun, la moindre augmentation de leur revenu amplifie jusqu’à l’extrême la demande des importations, démultipliant la pression sur la balance extérieure qu’ils précipitent dans un déficit durable. La conséquence ultime est qu’on remplace un déficit en biens alimentaires de 500 Milliards par un déficit en biens manufacturés de 750 Milliards, le pays se retrouvant plus endetté qu’auparavant.
C’est cette impossibilité de développer l’agriculture au Cameroun sans l’endetter qui constitue le verrou de la contrepartie extérieure.
Le verrou e la contrepartie apparait comme la conséquence d’un système productif peu diversifié et qui se traduit par une sorte de diarrhée du pouvoir d’achat. La moindre augmentation du revenu se traduit par une amplification plus que proportionnelle des produits importés, d’où une tendance permanente au déséquilibre de la balance de paiements et par suite, à l’endettement. Or comme les politiques de développement ont par essence pour vocation d’augmenter le revenu sans nécessairement entraîner une diversification conséquente de l’économie, il en découle un blocage du système productif et l’étranglement de la croissance.
Pour en sortir il faudrait trouver un mécanisme de rétention du pouvoir d’achat sur le territoire national ; Ce mécanisme est la mise en place d’un Système d’Echange Local (SEL) qui en l’occurrence prendrait la forme de la monnaie binaire. Pour en comprendre le principe, il faut rappeler que les autorités du Cameroun peuvent relancer la croissance par la consommation en revalorisant les salaires. Malheureusement, une telle augmentation, loin de profiter au secteur productif local, s’évacue en achats massifs de biens importés, aggravant le déficit de la balance commerciale et les menaces d’un nouvel endettement.
Pour sortir de ce piège, le Gouvernement peut quand même augmenter les salaires, mais avec des CFA barrés d’un trait. Contrairement au FCFA normal qu’on peut transformer en devises, les billets barrés ne sont pas convertibles et on ne peut les utiliser que pour acheter les biens locaux.
L’argent barré bloque ainsi le pouvoir d’achat sur le territoire national et permet le développement des activités incapables de survivre avec le FCFA normal. C’est cette situation où cohabitent deux monnaies dont l’une, dite « majeure » est convertible et l’autre, dite « mineure » est inconvertible qui constitue la Monnaie Binaire.
La Monnaie Binaire existe dans beaucoup de pays, mais sous une forme associative ou localisée. On peut citer le WIR en Suisse, l’Ithaca aux USA, le Chimgauer en Allemagne, le RES en Belgique, etc. En l’acclimatant au Cameroun et en la systématisant, nous doterions notre pays d’un système économique puissant capable de porter notre croissance à 8% en moins de 3 ans, permettant ainsi de réaliser le Programme des Grandes Ambitions en moins de 7ans et d’atteindre les objectifs de notre Vision en moins de 20 ans, ce qui est impossible autrement.
Conclusion
L’absence de connivence et le verrou de la contrepartie expliquent à eux seuls les échecs de nos politiques agricoles. Ni la mauvaise gouvernance si souvent évoquées, ni les problèmes de financement ou des difficultés foncières n’y ont joué de rôle déterminant. Tout au plus peut-on les considérer comme de facteurs aggravants. L’une des preuves saisissantes de cette conclusion est l’interminable liste d’échecs des élites, qui avec leurs moyens importants, leur accès au financement bancaire et les vastes espaces qu’elles ont pu acquérir auprès de leur communauté par des voies plus ou moins loyales, se sont lancées dans l’aventure agricole. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, Ministres, Directeurs Généraux, Directeurs, officiers, députés, hommes d’affaires, tous pleins d‘enthousiasme ont initié des projets, mais les succès se révèlent très rares.
Les échecs de nos politiques agricoles ne viennent donc pas des raisons si souvent évoquées, mais des verrous macroéconomiques mis en évidence dans cet article et qu’il faut éliminer. Faute de quoi les chances de réussir un seul programme agricole sont pratiquement nulles malgré la bonne volonté de pouvoirs publics.
Dieudonné ESSOMBA
Ingénieur Principal de la Statistique Hors Classe
Cadre au MINAPAT
Publié le 15/01/2011 à 20:10 par analysis
Pour desserrer l’étau de la CEDEAO accusé de relayer les désirs de la France, le gouvernement du Président Gbabgo explore des pistes pour la création d’une monnaie nationale. Si l’idée paraît irréaliste, opportuniste ou dangereuse à quelques économistes et politiciens, elle garde une immense séduction pour bien d’autres qui réclament, depuis de longues années, l’émancipation de la monnaie africaine du Trésor français.
Le présent texte est une réflexion sur cette problématique.
I. ROLE DE LA MONNAIE
La Monnaie est un « reçu anonyme » certifiant que son détenteur a fourni un travail qu’il peut échanger avec le fruit d’un travail équivalent. Dès lors qu’une Communauté accepte qu’un objet tient lieu de reçu anonyme d’un travail ou d’une richesse, cet objet devient de la monnaie.
Il importe peu que la Communauté soit importante ou petite, riche ou pauvre. Ainsi, la cigarette jouait un rôle dans les prisons américaines, les communautés africaines utilisaient le cauri, etc. Il suffit que le fonctionnement de la monnaie soit le reflet exact du fonctionnement, et notamment que tout billet se présente comme la contrepartie d’une richesse ou d’un travail commercialisable.
En conséquence, la création d’une monnaie nationale ivoirienne, dès lors qu’une décision politique en a décidé ainsi, se réduit à une opération technique simple et relativement facile. Il s’agit de remplacer les billets et pièces CFA par les pièces et billets de la nouvelle monnaie, suivant des modalités appliquées lors des changements des coupons CFA. On peut d’ailleurs accélérer le processus en fixant des délais impératifs pour la résorption de ladite monnaie.
Une telle Monnaie courrait cependant deux principaux groupes de risques :
1. Les Risques liées à la masse monétaire : la masse monétaire doit être en permanence à l’image du système productif, mais elle peut être altérée par trois mécanismes :
-la contrefaçon : en tant que valeur précieuse, la monnaie suscite la convoitise des faux-monnayeurs, et il faut limiter leur action avec la mise au point d’un billet difficile à imiter et des dispositifs appropriés pour identifier rapidement ces cas ;
-la gouvernance : des dirigeants peu scrupuleux ou ignorants ont tendance à résoudre les problèmes de leurs économies en utilisant sans mesure la planche à billets, comme l’illustre le tristement célèbre Mobutu Sese Seko Kuku Mbgendu Waza Banga ;
-le sabotage : les puissances ennemies peuvent déstabiliser un pays par une hyperinflation, en y injectant subrepticement une importante masse de billets. On peut cependant douter que la monnaie nationale ivoirienne courre ce risque avec la France, au regard du niveau de civilisation atteint par ce pays, mais aussi par l’existence d’autres possibilités de nuire à une Côte d’Ivoire rebelle à son hégémonie.
2. Risques liées à la faiblesse du système productif : ces risques ne concernent pas la masse monétaire, mais la stabilité du pouvoir d’achat qui peut se déliter par rapport à l’extérieur, du fait de la faiblesse de l’économie. Quand la balance des paiements menace de basculer dans un déficit durable, le pays tente de s’en sortir en baissant son taux de change dans l’espoir que les biens importés se surenchérissant, l’industrie locale gagnera en compétitivité et l’équilibre sera restauré. Le succès n’est cependant acquis que si les écarts technologiques le séparant de ses partenaires ne sont pas trop importants et que l’industrie locale peut en profiter. Faute de quoi la démarche entraîne une spirale de dévaluations qui finit par dégrader totalement la monnaie.
N’importe quel pays qui évite ces risques peut parfaitement gérer sa monnaie, et c’est bien ce que font les pays d’Afrique non francophones. Il n’existe donc aucun écueil technique ou politique pouvant empêcher la Cote d’Ivoire de créer une monnaie nationale et de la gérer, mais on peut se demander si un tel choix serait pertinent.
II. LE FRANC CFA
Le Franc CFA est créé par la France en 1945, au moment où elle ratifie les Accords de Brettons. Cette monnaie vise essentiellement à restaurer l’autorité monétaire française dans ses colonies et d’interrompre des émissions locales appuyées sur d'autres devises. L’accession des anciennes dominations françaises (colonies, tutelles) à l’indépendance n’entraînera la rupture monétaire et la zone va prospérer jusqu’à nos jours. La zone CFA comprend 15 pays répartis en une région UMOA, une région CEMAC, et les Comores.
Dans son principe, le FCFA est assurée d’une convertibilité indéfinie, ce qui entraîne une équivalence de fait entre le FCFA et l’Euro. Celui qui fabrique le FCFA fabrique de ce fait même l’Euro, d’où la nécessité de a France de monopoliser ce pouvoir.
Le principal avantage du FCFA, suivant ses défenseurs, est de retirer des mains des dirigeants fondamentalement instables la gestion d’un instrument stratégique qu’ils pourraient altérer au gré de leurs humeurs. On peut y ajouter la rigueur dans la gestion qui en découle naturellement, mais aussi la convertibilité et la mutualisation des devises qui permet à la Communauté de gérer les Trésoreries des Etats sans avoir recours à l’extérieur. On peut également citer le fait incontestablement positif que le FCFA élargit les espaces économiques.
Mais nonobstant ces avantages, le FCFA est devenu le mouton noir des économistes francophones pour qui il incarne l’expression achevée du néocolonialisme. L’hostilité des Africains vient d’abord de son symbolisme. Quel que soit le discours qu’on peut tenir sur son étymologie, le mot « Franc » invoque immanquablement la France et ne lui est pas en tout cas dissociable. La survivance du nom d’un pays colonial pour désigner un instrument monétaire utilisé dans une aire anthropologique initialement opprimée était déjà un signe difficilement supportable, mais elle est devenue irrationnelle sitôt que la France a adopté l’Euro dont le nom vient d’Europe et obéit à la même logique sémantique que le Franc. Tout se passe comme si les pays francophones défendaient les symboles culturels de la France plus que la France elle-même !
La particule CFA elle-même alimente aggrave cet aspect négatif : naguère, elle signifiait « Franc des Colonies Française en Afrique », mais elle a muté en « Franc de la Communauté Financière de l’Afrique » ou « Franc de la Coopération Africaine ». Peu importe ! La reconduction du même sigle apparaît comme la preuve que la même réalité de soumission a simplement pris de nouveaux habits.
Mais au-delà ces aspects purement nominatifs, le fonctionnement du F CFA a reconduit de véritables réalités coloniales : la stratégie de l’ancien empire colonial français visant à empêcher le transfert de l'or et des billets de banque vers les colonies a pris la forme du fameux mécanisme du compte d’opérations : les devises de la zone Franc doivent être déposées au Trésor Français, qui, en échange, garantit la convertibilité du FCFA.
Sur le plan économique, le FCFA est accusé de deux principaux maux. Le premier, longuement développé par Tchuijang Puemi dan son livre « Monnaie, Servitude et Liberté » et d’autres après lui, part d’une qualité de la monnaie mise en évidence par Keynes : à l’inverse des économistes classiques qui la réduisent à un médiateur passif des échanges, la monnaie dispose d’une action économique propre, le simple fait de son émission, même sans contrepartie effective, pouvant susciter la création d’une richesse additionnelle. A condition que de telles émissions restent dans des limites raisonnables, ce pouvoir de stimulation peut être utilisé pour fonder une politique monétaire et développer un tissu productif, sans besoin de financements extérieurs. On en déduit naturellement qu’un pays privé d’une monnaie nationale ne peut exercer un tel pouvoir et se retrouve obligé de quémander des aides.
Le second argument porte sur l’arrimage à l’Euro, une monnaie peu flexible qui entraîne une survalorisation permanente du FCFA et obère considérablement leur compétitivité.
Que peut-on penser de ces arguments ? En fait, il apparaît incontestable que le FCFA reprend, sous une forme un peu plus civilisée, l’ancienne monnaie coloniale. L’extrême attachement de la France à cette zone, la surveillance étroite, l’encouragement au syndrome de l’orphelin et la promotion agressive de son compte d’opération trahissent bien un désir lancinant de maintenir ce dernier bastion de l’influence française, dans un monde où les hiérarchies se renversent et où la France nostalgique devient une puissance très moyenne.
Quant à la capacité du système à assurer la crédibilité internationale de la monnaie africaine, l’argument est très faible. De fait, le commerce international est un troc, certes, sophistiqué, mais un troc. Et dans ce troc, chaque pays emporte chez lui l’équivalent de ce qu’il a vendu. Pas plus, ni moins. Dans ces conditions, les mécanismes du FCFA apparaissent comme un mode opératoire qui, peut, certes avoir ses avantages, mais qui ne modifie pas le fait fondamental qu’on n’achète que l’équivalent de ce qu’on a vendu. L’existence de la caisse commune que représente le compte d’opérations présente la possibilité de crédits entre les membres, mais ce n’est qu’une virtualité qui dans les faits, n’a pas d’intérêt pratique.
Quant aux échanges régionaux, ils sont davantage déterminés par la puissance des appareils productifs et non par la monnaie ; la nature extravertie de ces économies relativise considérablement cet avantage putatif.
En définitive, le FCFA ne présente aucun avantage particulier, en dehors de celui d’être transnational, et relativement indépendant des pouvoirs locaux dont on connaît l’irrationalité, la versatilité et la mégalomanie. Pour autant, une monnaie nationale ne présente pas plus d’avantages, contrairement à ses thuriféraires dont les thèses se situent dans le cadre des analyses économiques traditionnelles qui ignorent le concept de marge de manœuvre. La Côte d’Ivoire aura beau jouir d’une monnaie nationale, ce n’est pas pour autant qu’elle pourrait créer une industrie viable de téléviseurs, compte tenu d’un grand nombre d’autres facteurs constrictifs. La souplesse qu’elle est censée donner ne permettant pas aux entreprises de profiter d’une dévaluation pour gagner en compétitivité, elle peut même devenir un luxe dangereux, avec cette possibilité de la monnaie de se déliter indépendamment des erreurs de gouvernance.
En définitive, la situation de la Côte d’Ivoire ne changerait absolument en rien, qu’elle crée une monnaie nationale ou qu’elle reste dans la zone CFA. C’est une opération absolument neutre sur le plan économique, mais qui peut se justifier sur le plan politique, ce qui n’est pas l’objet de notre débat.
III. LE FRANC CFA ET LE MIR : UNE OCCASION D’INSTAURER LA MONNAIE BINAIRE EN COTE D’IVOIRE
Plutôt que d’opposer le MIR au FCFA, la Côte d’Ivoire dispose d’une occasion en or pour instaurer le seul système capable de développer l’Afrique, à savoir la Monnaie Binaire.
Pour bien comprendre le principe de cette monnaie, il faut noter que les autorités d’un pays peuvent relancer l’économie par la consommation, en augmentant notamment les salaires. Malheureusement, cette démarche n’est pas possible en Côte d’Ivoire, ni dans d’autres pays d’Afrique, car toute augmentation des salaires, loin de profiter au secteur productif local, est évacuée à l’extérieur en achat de biens importés, aggravant le déficit de la balance commerciale et le risque de surendettement.
Afin d’échapper à ce piège, on peut envisager la solution suivante : plutôt que d’augmenter les salaires avec le FCFA, on le fait avec une Monnaie Locale inconvertible. Une telle monnaie, qui ne permet d’acheter que des biens et services produits à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, retient ainsi le pouvoir d’achat qui ne s’écoule plus à l’extérieur et permet le développement des activités incapables de survivre avec le FCFA.
C’est cette situation où cohabitent deux monnaies qui est la Monnaie Binaire.
La Monnaie Binaire n’est pas une invention. La Suisse l’applique depuis 1934, ce qui explique l’incroyable résistance de ce pays qui ne connaît pratiquement pas de crise économique, et dans une ville américaine appelée Ithaca. Un grand nombre de villes ont créé des systèmes analogues.
Mais à l’inverse de ces expériences qui ont un caractère associatif et qui superposent à une monnaie nationale des monnaies locales dites sociales, la Monnaie Binaire est un système institutionnel, où l’Etat bat deux monnaies différentes, dont l’une, appelée « devise », est en proportion des recettes extérieures et l’autre, appelée « invise », correspond à la production nationale non exportée.
Les autorités de la Côte d’Ivoire pourraient ainsi créer leur monnaie, le MIR, totalement inconvertible, mais en laissant le FCFA en circulation, lequel jouerait alors le rôle de devises.
Cette technique permettrait à la Côte d’Ivoire de bondir à un taux de croissance 10% pendant au moins 25 ans.
Publié le 12/01/2011 à 20:50 par analysis
Excellence Monsieur le Président de la République,
Dans votre discours de fin d’année, vous êtes revenus avec une préoccupation récurrente : « J’en profite pour rappeler, une nouvelle fois, que dans les circonstances présentes la sous-consommation des crédits est incompréhensibles ».
Ces mots fermes relayaient un grand nombre d’interpellations sur la nécessité de réaliser les investissements effectivement prévus dans le budget, afin de relancer la croissance du Cameroun, plombée à un niveau végétatif (3%).
Une situation invraisemblable quand on connaît les immenses besoins du pays et l’extrême empressement des hauts responsables camerounais à dépenser l’argent de l’Etat. La problématique a fait l’objet d’un grand nombre d’études et de débats au sein des institutions camerounaises et dans les médias, mais sans autre résultat que l’ « identification » des prétendues causes : mauvaise gouvernance, procédures lourdes, refus des gestionnaires d’engager des dépenses quand ils n’y gagnent rien, etc.
En réalité, la sous-consommation des crédits est un problème plus compliqué que cette vision simpliste. Pour bien l’appréhender, il est nécessaire de distinguer deux types de pouvoirs d’achat au Cameroun : un pouvoir d’achat intérieur ou invise, qui regroupe les revenus issus des activités s’opérant sur le territoire national et n’ayant aucune vocation à l’exportation. Un pouvoir d’achat extérieur ou devise, issu des revenus d’exportation, des recettes touristiques, des dons et des transferts de la Diaspora.
Les deux pouvoirs d’achat sont strictement étanches. En effet, comme le commerce international n’est en définitive qu’une forme sophistiquée de troc, on ne peut acheter à l’étranger qu’en proportion de ce qu’on peut y vendre. Par suite, les revenus issus des produits et services locaux qui ne sont pas exportables ne peuvent être convertis en devises et n’ont aucun intérêt pour l’extérieur.
La difficulté vient de la monnaie nationale qui vient masquer cette étanchéité : sur le territoire national, les produits locaux et étrangers s’expriment tous en Francs CFA. D’où l’illusion que le CFA est capable de tout acheter à l’extérieur. Mais cela n’est possible que dans les limites des devises contenues dans cette monnaie, car le FCFA ne crée pas de nouvelles devises ; il ne permet pas d’acheter à l’extérieur plus que ce que nous y avons vendu.
L’impossibilité de transformer le pouvoir d’achat local en pouvoir d’achat extérieur a un impact négatif sur la réalisation du Budget du Cameroun, équilibré en recettes et en dépenses à 2570 Milliards en 2010. Ainsi, le Budget camerounais représente 25% du PIB ; il contient donc 25% des 2000 Milliards de devises produites par le Cameroun à travers ses recettes extérieures, soit 500 Milliards de FCFA en devises.
Si les dépenses budgétaires du Cameroun n’entraînaient que ces 500 Milliards de dépenses en devises, son Budget n’aurait aucun problème. Malheureusement, ce budget se caractérise par une amplification des dépenses extérieures qu’alimentent le remboursement de la dette, l’achat des voitures, le remplacement des équipements à tout bout de champ, la multiplication des missions à l’étranger, le désir noble et légitime d’augmenter l’investissement et la modification du profil de consommation des agents publics dont le niveau intellectuel moyen s’élève d’année en année.
Pour l’année 2010, les devises contenues dans les dépenses budgétaires atteignaient 900 Milliards, un chiffre nettement supérieurs aux 500 milliards de devises contenus dans les recettes. C’est précisément ce gap de 400 milliards, difficile voire impossible à combler, qui est à l’origine de la sous-consommation du crédit au Cameroun, suivant un processus que nous pouvons résumer en quatre points :
1. Le Budget de l’Etat est essentiellement formé de recettes prélevées sur le pouvoir d’achat intérieur, autrement dit, sur les activités de service et de commerce dispensées à la population camerounaise ;
2. Il ne peut donc pas être utilisé pour acheter des bulldozers et autres engins nécessaires pour les investissements physiques à réaliser, car ces bulldozers ne s’achètent qu’avec le pouvoir d’achat extérieur que procurent les exportations ;
3. Malheureusement, les responsables en charge de confectionner le budget ne comprennent pas cette différence et dans leur illusion que le FCFA peut tout acheter, ils ont tendance à élever leurs prétentions d’achats extérieurs au-delà du contenu en devises du budget, tentant ainsi de convertir un pouvoir d’achat local en un pouvoir d’achat extérieur ;
4. Comme cette mutation est impossible, on ne peut aboutir qu’à trois issues :
-soit, on se retrouve avec d’importantes sommes oiseuses d’un argent inutile, à côté des investissements irréalisables ;
-soit on tente de forcer la réalisation de ces investissements, mais comme ce pouvoir d’achat local n’a aucune valeur à l’extérieur, un tel forcing pousse à un nouvel endettement ;
-soit, on dilapide ces sommes oiseuses dans les activités qu’on peut réaliser sans faire appel aux importations massives (séminaires, pose de la première pierre, détournements de fonds, etc.) ;
Contrairement à l’idée commune, on ne peut l’éliminer ce problème par l’amélioration de la gouvernance dont les défaillances se présentent davantage comme des facteurs aggravants. En l’absence d’importants gisements de pétrole qui permettraient de desserrer l’étau extérieur, il ne reste que deux solutions :
Une solution provisoire : l’abaque budgétaire
Le problème du Budget du Cameroun ne se trouve pas dans son volume qui est relativement faible, mais dans une surdose des dépenses en devises. On ne peut le résoudre autrement qu’en ajustant le contenu en devises des dépenses au contenu en devises des recettes. De manière plus concrète, il s’agit :
- d’une part de confectionner un abaque budgétaire, c’est-à-dire, un instrument qui présente le montant en devises qu’entraîne telle ou telle dépense. Par exemple et à titre d’illustration, lorsqu’on engage 100 FCFA de dépense :
- pour une mission à l’intérieur, on dépense 30 FCFA en devises ;
- pour une mission à l’extérieur, on dépense 90 FCFA en devises ;
- pour un kilomètre de route bitumée, on dépense 45 FCFA en devises.
-d’autre part, au moment où on arrête le Budget d’un Ministère, on devrait lui imposer en même temps un plafond en devises dans ses dépenses. Un Ministère dont le Budget est de 10 Milliards de FCFA devra non seulement respecter ce Budget (caractère limitatif des crédits budgétaires), mais aussi respecter un plafond de 2 Milliards de FCFA en devises destinées aux achats de biens et services à l’extérieur.
2. Une solution définitive, la Monnaie Binaire.
La seconde solution est une extension de l’abaque budgétaire dans l’ensemble de l’économie, suivant la logique suivante : le Cameroun est capable de fabriquer un grand nombre de produits qu’il importe aujourd’hui, tels que les habits, les chaussures, les biens alimentaires, les ustensiles de cuisines, certains produits électroniques etc. Il l’a fait naguère et peut également le refaire, mais à la condition que l’industrie nationale soit préservée des effets corrosifs d’une compétition extérieure de plus en plus agressive et des importations-brocante qui inondent le marché local de produits usagers et obsolètes, à des prix pratiquement imbattables.
Cette corrosion assèche les capacités productives du pays et plombe son taux de croissance, et au regard du retard industriel du pays et de l’étroitesse du marché, la recherche de la compétitivité est un combat impossible à gagner. Au lieu de s’épuiser dans cette voie sans issue, pourquoi ne pas simplement créer, à côté du CFA, une monnaie locale totalement inconvertible, de manière à ce que ces produits locaux puissent être vendus uniquement avec cette monnaie ? De cette manière, une veste importée coûtera en FCFA, mais une veste cousue localement coûtera en cette monnaie locale. Les deux biens fonctionnant sur deux monnaies différentes et étanches, ne seront plus en concurrence et les vestes locales pourront prospérer dans le réseau local fondé sur la Monnaie locale.
Un système proche fonctionne en Suisse depuis 1934 où cohabitent de manière binaire le Franc Suisse et le WIR, et dans la ville américaine d’Ithaca qui fonctionne avec le dollar et les Hours depuis 1987.
Ces systèmes, conçus pour combattre le chômage et les délocalisations, constituent également la solution au sous-développement de l’Afrique. Ils constituent la seule piste capable de réaliser la Vision et stabiliser la gestion du budget.
Faute d’appliquer l’une de ces deux solutions, il y a lieu de craindre que les difficultés budgétaires notées au cours des années précédentes s’accélèrent, à savoir :
-l’impossibilité de réaliser les Grands Projets, en dehors de ceux directement financés par l’extérieur, avec des contreparties de plus en plus monstrueuses (implantation des étrangers en colonies de peuplement, concessions trop longues et iniques, surendettement,…)
-la sous-consommation ou la dilapidation des crédits en opérations peu utiles (séminaires, manifestations festives, détournements de fonds, etc.) ;
-la gestion de plus en plus discontinue du budget, avec multiplication des quotas qui s’épuiseront en un mois, une semaine, puis en un jour, puis en une heure ;
-les difficultés des plus en plus importantes de payer les salaires, avec notamment une réduction drastique (nominale, par dévaluation ou par arriérés) attendue avant la fin 2013...
Tel est, Excellence, le petit éclairage qu’un modeste citoyen voulait apporter à cette problématique contre laquelle vous vous battez et qui porte une lourde hypothèque sur vos nobles ambitions d’asseoir les bases d’un Cameroun émergent.
Dieudonné ESSOMBA
Ingénieur Principal de la Statistique
Chargé d’Etudes-Assistant N°5 au MINEPAT
Coordonnateur en Chef du Centre d’Analyses Economiques et Sociales (CAES)
Auteur du livre « Une Voie de Développement pour l’Afrique : La Monnaie Binaire » (éditions du CAES)
Tél. 237.75.12.65.83
E-mail : essombamendzina@yahoo.fr
Publié le 11/01/2011 à 18:48 par analysis
Dieudonné ESSOMBA est Ingénieur Principal de la Statistique, cadre au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire. Il a commis aux éditions du Centre d’Analyses Economiques et Sociales (CAES) un ouvrage intitulée « Une solution pour le développement de l’Afrique : la Monnaie Binaire ». Dans ce livre, l’auteur soutient que l’organisation actuelle du monde, fondée sur la libre circulation des biens et des capitaux et les migrations contrôlées des populations, entraîne une polarisation rigide des économies, avec deux principales conséquences : d’une part, l’impossibilité pour l’Afrique de se développer, d’autre part, l’impossibilité que l’Europe et la Chine soient développées au même moment. L’une doit donc rejoindre l’Afrique dans son sous-développement.
Pour sortir de cette impasse, l’auteur propose la monnaie binaire qui découple chaque économie en deux réseaux commerciaux basés sur deux monnaies, une monnaie locale inconvertible, et une monnaie internationale.
Nous l’avons approché pour nous donner son sentiment sur le projet de loi des Finances 2011 du Cameroun.
Question 1 : Quelles sont les clés pour comprendre le projet de loi des finances 2011 ?
D. ESSOMBA : Avant de répondre à votre question, je dois signaler que mes positions renvoient exclusivement à mes livres et mes articles de recherche et n’ont aucun rapport avec le MINEPAT dont je reste l’un des cadres. A cet effet, je voudrais préciser que l’obligation de réserve à laquelle est soumis tout fonctionnaire aurait voulu que ces positions soient débattues à l’intérieur de l’administration. Malheureusement, la crise économique déclenchée en 1987 et la suspension des plans quinquennaux ont entraîné l’effondrement de notre dispositif institutionnel de débats économiques, constitué notamment des anciennes commissions de planification. Il en a découlé l’acceptation inconsidérée de la pensée des partenaires au développement et l’apparition d’une classe d’économistes administratifs spécialisés dans le bavardage et l’explication sommaire, avec pour conséquence des échecs récurrents de nos politiques économiques ; mais aussi et surtout, le dédouanement à bon compte des mauvais choix stratégiques que nous imposent nos partenaires, à travers l’argument tout terrain de notre mauvaise gouvernance.
Le Chef de l’Etat a certainement perçu cette dérive en créant, à travers le décret portant organisation du Ministère de l’Economie, une Direction Générale de l’Economie, dont l’une des missions majeures est d’être une puissante force de propositions, et un centre de résolution et de consolidation des options différentes de développement. Il faut à cet effet signaler qu’il n’existe pas d’algorithme connu à appliquer pour développer le Cameroun. C’est d’abord et avant tout une œuvre permanente de recherche, basée sur le débat, la simulation, l’exploration de toutes les idées. Ce n’est qu’à partir de ce travail, avec la mobilisation de toutes les compétences nationales que pourra se dégager le sentier de développement si recherché.
La confiance exagérée portée sur le FMI et la Banque mondiale dans nos politiques de développement est donc peu pertinente, et l’on peut bien s’en convaincre lorsqu’on voit comment ces institutions suscitent, auprès des pays Européens en crise, la même répulsion qu’inspirent les serpents venimeux.
La voie du développement du Cameroun n’est donc pas donnée.
C’est fort de cette conviction et à défaut de débattre en profondeur mes idées dans un cadre plus conventionnel qu’il m’a paru nécessaire d’apporter ma contribution par voie de publications d’ouvrages et d’articles ; et présenter une perception relativement différente des autres...
S’agissant maintenant de la compréhension du projet de loi de Finances de l’année 2011, il faut dire que l’Atteinte du Point d’Achèvement de l’Initiative PPTE en 2006, qui s’est traduite par une remise substantielle de la dette multilatérale, a fait apparaître les signes d’un nouveau départ pour le Cameroun. L’ambiance d’optimisme développée par cet événement a conduit le Gouvernement à renouer avec une approche de développement fondée sur le long terme, en confectionnant une Vision d’un Cameroun émergent en 2035, ainsi qu’un Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE), nettement plus ambitieux que l’ancien Document Stratégique pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP) qu’il remplaçait. On comprend que les pouvoirs publics aient été tentés de traduire cette ambition dans les Budgets qui ont ainsi connu une évolution progressive. Ainsi, le budget de 2010 a connu, par rapport à celui de 2009, une augmentation nominale de 268,6 milliards de FCFA, soit une évolution de 11,7%.
Comme on le voit cette évolution est nettement plus élevée que le PIB qui plafonne à 3%, une valeur à peine supérieure à sa valeur végétative de 2,6% qui correspond à la croissance démographique.
Le Budget 2011, qui ne connaît qu’une évolution symbolique de 1 milliard par rapport à celui de 2010, apparaît ainsi comme une rupture, qu’on peut certes relier, à l’instar du Gouvernement, à la situation économique mondiale, mais qu’on peut aussi interpréter comme la prise de conscience que les capacités du système productif à générer un tel Budget avaient été malencontreusement surestimées.
Mais au-delà de ces explications, il est loisible de constater que le Budget de 2010 encore en cours ne fait que dévoiler sous une forme paroxysmique un grand nombre de problèmes qui se dessinaient déjà au cours des années passées : notre Budget fonctionne sur la base des quotas qui, dans un premier temps, avaient été conçus pour empêcher une thrombose dans les décaissements. Mais au fil du temps, ces quotas se sont progressivement mués en un instrument de régulation pour limiter la dépense publique, voire l’affecter préférentiellement à des dépenses ciblées, en complète négation de la loi des Finances.
Cette instrumentalisation des quotas en régulateur budgétaire a aussitôt généré quatre effets pervers. Le premier effet tient au principe de prévision : le Budget est voté en tenant compte des priorités et des synergies dans chaque secteur ; mais le rationnement intrinsèquement arbitraire des autorités financières vient imposer un biais qui altère l’efficacité de la dépense. Le second est une pulsion obligatoire des gestionnaires de crédits à privilégier les opérations mobilisant facilement les ressources, et à développer un esprit de tractation avec les circuits financiers de l’Etat dont la porosité s’en trouve amplifiée. Le troisième est la déstabilisation de l’action publique à laquelle ces discontinuités imposent un rythme décousu qui érode l’enthousiasme des agents publics et réduit leur performance. Le dernier enfin est la tendance à la coagulation des crédits dans les cabinets ministériels, ce qui a pour effet d’empiler aux missions stratégiques des Ministres, des tâches opérationnelles de niveau très bas, entraînant une surcharge de leur travail.
De tels effets ne peuvent que dévoyer les objectifs du Budget et il y a lieu de douter que celui-ci ait rempli convenablement son rôle d’instrument majeur de la politique économique au cours des quatre dernières années.
Mais assez bizarrement, cette tension permanente de trésorerie apparaît en contradiction avec la sous-consommation des crédits d’investissement, décriée par le Chef de l’Etat lui-même. Comment comprendre qu’un pays soumis à tant de difficultés, avec des camerounais dont on connaît l’empressement à réaliser les dépenses, puissent rester incapables d’utiliser les faibles ressources mises à leur disposition ? Malgré les études, les analyses, les séminaires sur la gouvernance, cette maladie reste non résolue.
C’est dire que le Budget du Cameroun est affecté d’un grand nombre de paradoxes qui le rendent peu lisible et peu compréhensible pour le profane.
Question N°2 : Pensez-vous que c’est un Budget réaliste ?
D. ESSOMBA : Les difficultés recensées dans mon propos précédent peuvent laisser penser que le Budget est irréaliste et cette explication a d’ailleurs la faveur d’une partie de Camerounais. Néanmoins, l’observation des autres pays ne confirme pas ce point de vue : en 2008, les dépenses publiques représentaient 44,3% du PIB en Allemagne, 53,8 % en Suède, 53,4 % en France. Vous me direz qu’il s’agit là des pays très développés, mais sachez que dans la zone CFA, le Cameroun dispose, avec 20% du PIB, de l’une des dépenses publiques les plus faibles. De ce point de vue, le Budget camerounais ne saurait être considéré comme exagéré et irréaliste.
Le problème de ce Budget ne se situe donc pas dans de mauvaises prévisions, la mauvaise gouvernance ou les défaillances opératoires de l’appareil fiscal, mais dans un phénomène d’économie fondamentale connu sous le nom de « verrou de la contrepartie extérieure ».
Pour mieux appréhender ce phénomène, il faut d’abord noter que le nécessaire équilibre de la balance des paiements découple toute économie en deux réseaux commerciaux. Le premier réseau, dit réseau intérieur, regroupe les activités s’opérant sur le territoire national et n’ayant aucune vocation à l’exportation. Le second réseau, dit réseau extérieur, est composé des exportations, des recettes touristiques, des dons et des transferts de la Diaspora, pour les flux d’entrée, et des importations pour les flux de sortie.
Les deux réseaux sont articulés, mais strictement étanches. En effet, comme le commerce international n’est en définitive qu’une forme sophistiquée de troc, on ne peut acheter à l’étranger qu’en proportion de ce qu’on peut y vendre. Par suite, les revenus issus des produits et services locaux qui ne sont pas exportables ne peuvent être convertis en devises et n’ont aucun intérêt pour le réseau extérieur. Aussi important soit-il, le revenu tiré de telles activités qui représente un pouvoir d’achat uniquement local ne peut permettre d’acheter la moindre voiture du Japon.
La difficulté de distinguer les deux réseaux vient du fait que sur le territoire national, ils utilisent la même monnaie, ce qui permet à tout le monde d’avoir accès aux devises même lorsqu’on produit pour le marché local. Mais il s’agit là d’une simple redistribution des devises disponibles et non la création de nouvelles.
Or, l’impossibilité de transformer le pouvoir d’achat local en devise a un impact négatif sur la réalisation du Budget. Ainsi, le Budget camerounais de 2010 a été équilibré en recettes et en dépenses à 2570 Milliards. Comme ce Budget représente 25% du PIB, il contient également 25% des 2000 Milliards de devises produites par le Cameroun à travers ses recettes extérieures. Le Budget du Cameroun contient donc 500 Milliards de FCFA en devises.
Si les dépenses budgétaires du Cameroun n’entraînaient que ces 500 Milliards de dépenses en devises, notre Budget n’aurait aucun problème. Malheureusement, la simple observation dégage une tendance à l’amplification des achats extérieurs de notre Budget. Outre le paiement de la dette extérieure qui est une contrainte, l’amplification de la dépense à l’étranger est parfois volontaire, lorsque les responsables achètent des limousines, remplacent les équipements à tout bout de champ ou multiplient des missions à l’étranger. Elle peut être également mue par un réel désir de développer le pays, notamment quand le Gouvernement tente d’augmenter le taux d’investissement pour doper la croissance ; comme le pays est technologiquement dépendant, cet investissement se traduit par de fortes importations d’équipements et des machines. Enfin, elle vient de la modification du profil de consommation des agents publics dont le niveau moyen s’élève d’année en année, et on sait que le niveau intellectuel entraîne une tendance à l’achat des biens étrangers. Une évaluation montre que le contenu en devises des dépenses budgétaires s’établit à 900 Milliards par an, nettement supérieurs aux 500 milliards de devises contenus dans les recettes. Soit un gap de 400 milliards, difficile voire impossible à combler.
Pour un pays qui sort de l’endettement et ne veut plus y plonger, ce grave déficit en devises du Budget entraîne des conséquences redoutables : il génère une détérioration rapide du solde extérieur du pays, et par ricochet, les risques d’un brutal réendettement. D’où l’obligation de freiner les engagements.
Le frein peut prendre la forme volontaire des quotas. Dans ce cas, l’autorité financière réduit le rythme des décaissements et le pays se retrouve avec un grand excédent budgétaire, mais une grave sous-consommation des crédits d’investissement. Dans ces économies très faibles et aux besoins si immenses, une telle liquidité oiseuse crée la stupéfaction et faute d’en comprendre la cause, on l’imputera à la mauvaise gouvernance. Dans la réalité, cette masse d’argent ne correspond qu’à des productions impossibles à exporter et n’a aucune valeur dans la capacité du pays à acheter en devises. En d’autres termes, les devises initialement contenues dans la monnaie nationale ont déjà été utilisées, et ce stock de monnaie restante ne correspond plus qu’à un pouvoir d’achat local sans valeur hors des frontières. Ainsi contraint, l’Etat limitera son action aux segments scripturaires et cérémoniaux de la chaîne d’investissement, à savoir les études, les ateliers de validation, les séminaires et les poses de première pierre, qu’on peut facilement réaliser sans faire appel aux importations. Mais les réalisations physiques resteront rares.
La seconde forme que prendront ces discontinuités est la superposition d’une surliquidité des banques à une sous-liquidité de l’économie et des graves tensions de la trésorerie de l’Etat. Cette situation apparaîtra dès que les pouvoirs publics tentent à tout prix de réaliser le Budget d’investissement, nonobstant le déficit en devises, la faible marge de manœuvre et le risque de réendettement. Pour en comprendre le mécanisme subtil, il faut noter que dans les échanges internationaux, les transactions se passent à travers les crédits documentaires irrévocables : un producteur japonais n’envoie sa marchandise à un commerçant camerounais que si une banque camerounaise s’engage à en transférer la valeur en yens (et non en CFA !) à une banque japonaise. Cet engagement peut être révocable, auquel cas la banque camerounaise ne paye que si le commerçant camerounais a effectivement déposé la valeur de la marchandise dans ses comptes. Dans ce cas, elle ne joue qu’un rôle d’intermédiation.
Mais l’engagement peut aussi être irrévocable, auquel cas la banque camerounaise est tenue de rembourser même si le commerçant camerounais est défaillant. Or, quand la situation extérieure du pays se dégrade, la banque camerounaise prend vite conscience qu’elle ne peut plus fournir les devises requises par le Japon et refuse de prendre des engagements irrévocables en l’absence d’une provision. Les opérateurs qui ne disposent pas de très importantes liquidités gèlent leurs activités et conservent leur argent dans les banques, entraînant de ce fait une dépression immédiate de l’activité économique. Le Budget qui y est fortement lié se réduit dans les mêmes proportions et les prévisions budgétaires sont faussées.
Comme vous pouvez le voir, le problème du Budget du Cameroun ne se situe pas dans son volume qui reste plutôt faible, mais dans sa structure complètement tordue. Les recettes dégagent un fort contenu en pouvoir d’achat local et un faible contenu en pouvoir d’achat extérieur, alors que les dépenses font exactement l’inverse.
Ce problème majeur rend impossible la réalisation de ce Budget. Comme le problème ne suscite guère de mobilisation, si on excepte les appels désespérés et solitaires au renforcement de notre situation extérieure lancés par le Ministre des Finances, on peut être certain que les problèmes identifiés vont s’amplifier au cours de l’année 2011 qui sera particulièrement dure. En fait, les projets resteront toujours au niveau des effets d’annonce et des ateliers de validation, la croissance restera plombée à son niveau végétatif, la pratique des quotas sera amplifiée, les suspensions d’engagements seront plus récurrentes ; et le Gouvernement devra fournir des efforts surhumains pour maintenir les salaires, sans garantie de succès. L’année 2011 sera très, très difficile au Cameroun…
Question N°3 : Quelle est la démarche à adopter pour que le Cameroun ait un Budget réaliste ?
D. ESSOMBA : Je ne dirais pas réaliste mais, régulièrement réalisable. Le problème du Budget du Cameroun n’est pas dans son volume, mais dans une surdose des dépenses en devises. La condition impérative est d’ajuster le contenu en devises des dépenses au contenu en devises des recettes. De manière plus concrète, il s’agit d’une part de confectionner un abaque budgétaire, c’est-à-dire, un instrument qui présente le contenu en devises de chaque rubrique budgétaire. L’abaque permet d’indiquer le montant en devises qu’entraîne telle ou telle dépense. Par exemple et à titre d’illustration, lorsqu’on engage 100 FCFA de dépense :
- pour une mission à l’intérieur, on dépense 30 FCFA en devises ;
- pour une mission à l’extérieur, on dépense 90 FCFA en devises ;
- pour un kilomètre de route bitumée, on dépense 45 FCFA en devises.
D’autre part, au moment où on arrête le Budget d’un Ministère, on devrait lui imposer en même temps un plafond en devises dans ses dépenses. A titre d’exemple, un Ministère dont le Budget est de 10 Milliards de FCFA devra non seulement respecter ce Budget (caractère limitatif des crédits budgétaires), mais aussi respecter un plafond de 2 Milliards de FCFA en devises destinées aux achats de biens et services à l’extérieur.
En l’absence d’un immense gisement de pétrole ou d’or qu’on trouverait à l’heure actuelle, seule une telle mesure est capable de stabiliser le Budget du Cameroun et le ramener à une gestion plus conventionnelle. Son avantage est qu’elle amène les Ministres à limiter eux-mêmes les dépenses extérieures comme l’achat des voitures et les missions à l’étranger, au risque d’épuiser trop rapidement leurs allocations en devises. Mais plus important encore, une telle démarche transfère la compétitivité du coût global d’une transaction vers son coût en devises : par exemple, un bâtiment en matériaux locaux peut avoir un coût global plus élevé qu’un bâtiment aux matériaux importés, mais dès lors qu’il est moins coûteux en devises, il devient immédiatement plus compétitif. Ce sera la meilleure manière de réactiver les activités locales plombées par notre mauvaise articulation à l’économie internationale.
Le Messager : Pensez-vous que l’économie peut être compétitive à partir de la loi des finances 2011?
D. ESSOMBA : La compétitivité est la capacité de battre les concurrents dans un domaine donné. Sur le plan économique, elle dépend non seulement du niveau d’industrialisation du pays, de la taille de son marché intérieur, de la qualité de ses hommes et de sa gouvernance, mais aussi et surtout, des jeux stratégiques internationaux. Les récriminations actuelles de l’Occident contre la Chine, accusée à tort ou à raison de doper sa compétitivité par la monnaie, montrent bien qu’il s’agit d’un concept martial qui renvoie aux batailles hégémoniques et à une posture de domination.
Mais à l’évidence, la situation actuelle du Cameroun ne lui permet pas de se mêler de ces combats de titans. Il serait donc, à mon sens, plus judicieux de parler de productivité. Les Camerounais n’ont pas besoin de battre un concurrent pour bien se nourrir ou bien se loger ; ils ont juste besoin de produire mieux et c’est à cela que peut servir notre Budget. Maintenant, le budget actuel peut-il améliorer la productivité du Cameroun ? Il faudrait, pour y répondre, le soumettre à une analyse anatomique et structurelle, en vérifiant notamment la condition minimale qui est son équilibre en devises, mais aussi, la répartition fonctionnelle des dépenses, afin d’en dégager les impacts prévisionnels. Quand on élabore un budget, il faut tenir compte des relations organiques entre les divers secteurs, de la répartition du travail entre l’Etat, le secteur privé, la société civile et les ménages, mais surtout, il faut anticiper sur les capacités de réponse des uns et des autres. Quand l’Etat envisage électrifier une zone, il doit s’assurer que cette électricité ne sera pas seulement utilisée à des fins de consommation, mais aussi qu’elle entraînera l’apparition des activités productives. C’est un travail ardu qui montre que le budget n’est pas seulement une loi ou un document politique, mais aussi un document scientifique qui mobilise des équipes d’experts et des instruments d’aide à la décision hautement élaborés.
Mais en attendant la configuration définitive de ce budget telle qu’elle sera votée par la Représentation Nationale, on peut d’ores et déjà affirmer que son impact sera limité, en raison même de son orientation idéologique. Ce budget aurait du être élaboré, non dans une optique de compétitivité, mais dans le cadre d’une stratégie d’évitement, qui est plus sage et plus adaptée à notre économie encore jeune et fragile. Le premier axe d’une telle stratégie est la spécialisation dans quelques secteurs, dans lesquels on dispose d’un avantage comparatif. Le second porte sur le développement des technologies alternatives qui utilisent des techniques adaptées à l’environnement technique et humain, à l’instar des approches HIMO. Le troisième consiste à se spécialiser dans les segments de marché peu intéressants pour les producteurs dominants. Ce qui est le cas des voitures peu élaborées, mais très bon marché, fabriquées en Inde.
Le quatrième axe porte sur l’instauration d’un Système d’Echange Local (SEL), qui réalise une séparation entre le pouvoir d’achat extérieur et le pouvoir d’achat intérieur, de manière à ce que le premier n’écrase plus le second comme cela se passe aujourd’hui. Par exemple, si on choisit des billets bleus pour le FCFA local et les billets jaunes pour le FCFA international, un client saura qu’un costume importé coûte 10 billets jaunes, un costume entièrement local 10 billets bleus et un costume cousu localement avec des étoffes importées coûte 6 billets bleus et 4 billets jaunes. Cette structure binaire de l’économie permet ainsi aux costumes locaux de prospérer, car n’entrant plus en concurrence avec son analogue importé.
Un système proche fonctionne en Suisse depuis 1934 où cohabitent de manière binaire le Franc Suisse et le WIR, et dans la ville américaine d’Ithaca qui fonctionne avec le dollar et les Hours depuis 1987. Ces systèmes furent conçus pour combattre le chômage et les délocalisations, mais on peut prouver qu’ils constituent également la solution au sous-développement de l’Afrique. Avec un tel système, le Cameroun devient immédiatement capable de stabiliser son système économique, de couper le cordon ombilical avec le FMI et la Banque Mondiale et surtout, d’atteindre spontanément un taux de croissance de 8% qu’on pourrait maintenir pendant 25 ans.
Ce n’est qu’avec une telle rupture que le Budget camerounais pourrait pleinement jouer son véritable rôle d’instrument économique. Pour nous, il est difficile d’envisager les choses autrement.
Bibliographie : « Une solution au sous-développement : la Monnaie Binaire », en vente aux Editions Clé.
Publié le 11/01/2011 à 18:47 par analysis
Pour comprendre l’intérêt de la Monnaie Binaire pour le Cameroun et la nécessité de l’instaurer dans notre pays, on peut s’appuyer sur quelques points que nous présentons en diapositives.
1. Les capacités productives du pays
Naguère, le Cameroun avait atteint son autosuffisance alimentaire et disposait déjà d’une industrie diversifiée qui produisait un grand nombre de biens manufacturés : conserves, costumes, chaussures, postes radio, vélos, réfrigérateurs, etc. Qui ne se rappelle le fameux « Pas un pas sans Bata ! ».
Mais alors qu’on s’attendait à ce que cette évolution s’accélère et que le pays accède rapidement au montage et la fabrication des véhicules et autres machines lourdes, on a plutôt assisté à une désindustrialisation massive, qui a entraîné une oisiveté généralisée.
Le Cameroun ne produit plus qu’au tiers de ses capacités effectives.
2. Les Causes
Les raisons pour lesquelles l’industrie camerounaise s’est dissoute sont nombreuses, mais on peut citer particulièrement l’assèchement des conditions de compétitivité, du fait d’une concurrence extérieure trop intense qui étouffe les entreprises nationales et qui profite des conditions locales très défavorables :
-l’étroitesse du marché et l’impossibilité pour les entreprises locales de jouer des économies d’échelle ;
-l’incapacité de défendre le marché national, du fait des engagements vis-à-vis des partenaires (APD) et de la pression de l’OMC ;
-un environnement technologique trop lacunaire, avec des infrastructures défaillantes et des coûts de production trop élevés ;
-l’économie-brocante qui inonde le pays de produits déclassés (usagers ou obsolètes) d’un prix pratiquement imbattable ;
-des très faibles capacités d’analyses économiques.
3. Tentatives de solutions
Pour sortir de cet étau, les autorités camerounaises, avec l’appui des bailleurs de fonds, ont élaboré un grand nombre de programmes visant notamment à réduire la pauvreté, à relancer la croissance et à renforcer la compétitivité.
Malheureusement, ces tentatives se limitent aux conditions de second ordre qui sont internes au Cameroun et portent exclusivement sur l’amélioration de la gouvernance et le renforcement des capacités.
Mais la condition essentielle de premier ordre qui est la mauvaise articulation à l’économie internationale y échappe. En effet, les pays développés ont profité de leur avance pour accumuler des avantages compétitifs difficilement réversibles : maîtrise des filières technologiques entières, réseau de distribution géant, pouvoir financier gigantesque, multinationale de taille planétaire, avec agences spécialisées, collusions politiques, soutien militaire, etc. Cette gigantesque puissance a confiné les économies retardataires et incapables de se défendre dans des secteurs de bouts de filière (produits de base, activités de service, etc.) dont le potentiel de croissance est trop faible.
Ce confinement a eu une terrible conséquence sur les économies en retard : en effet, le système productif du Cameroun ne fonctionne qu’avec l’appareillage importé. Ainsi, son réseau routier est directement relié au nombre de bulldozers qu’il peut acheter, sa production électrique au nombre de turbines, ses capacités de transport au nombre de camions. Autrement dit, pour augmenter ses capacités productives, le pays est obligé de vendre davantage de cacao, de café ou de pétrole.
Or, pour un grand nombre de raisons dont certaines seront évoquées plus bas, les productions primaires d’exportation ne peuvent jamais évoluer au rythme des besoins du Cameroun. Le blocage est donc inévitable.
Le Cameroun sombre alors dans un « état occlus » que les gens appellent « crise économique », mais qui est plutôt une situation où un pays sous-développé épuise sa marge de manœuvre extérieure et ne peut plus évoluer.
L’état occlus se caractérise par un grand nombre de pathologies :
4. Une oisiveté généralisée
Les états occlus se caractérisent par une oisiveté généralisée pudiquement appelée « sous-emploi »:
-Au quartier : Des jeunes désœuvrés qui passent leur temps à discuter du football ou de politique, ou qui basculent dans la criminalité ;
-Dans l’administration : une faible utilisation du personnel et des activités sans grande utilité telles que les réunions et les séminaires dispendieux en temps, en énergie et en argent ;
-Administrations opérationnelles : dans les établissements scolaires, les centres de santé et les structures de sécurité, les conditions de travail sont si minables que le rendement est dérisoire ;
-Retraites : les agents publics veulent travailler davantage, mais sont mis très vite à la retraite, ce qui est l’inverse des pays développés qui ont déjà tout fait ;
-Adéquation formation/emploi : peu de Camerounais occupent des postes où ils peuvent exprimer leurs véritables aptitudes ; des titulaires de Licence présentent des concours de niveau CEPE, invalidant par là même toute la formation supplémentaire qu’ils ont eue.
-Activité économique : toute activité présentant le moindre intérêt est rapidement submergé par une concurrence qui éparpille la clientèle et lui enlève tout véritable intérêt.
5. Limites des exportations de type agricole
Pour renforcer sa situation extérieure, le Cameroun se porte instinctivement vers l’agriculture, afin d’agir sur deux plans : la substitution des produits importés et l’exportation des produits de rente. Malheureusement, l’agriculture est confrontée à deux terribles lois.
La première est la Loi des Quatre Ecueils qui affirme que le volume de la production agricole ne peut jamais évoluer au même rythme que les besoins d’importation, en raison des écueils suivants :
- la disponibilité des espaces cultivables, car un territoire n’est pas extensible et du reste, le cacao est en compétition avec l’agriculture vivrière ;
- la loi des rendements décroissants, car les espaces à conquérir sont nécessairement moins rentables que les espaces déjà cultivés ;
-l’augmentation de l’offre peut saturer le marché et entraîner une réduction du prix ;
-le cacao est un produit primaire qui n’évolue guère, alors que les bulldozers augmentent leur valeur relative, du fait de l’évolution technologique.
6. Le Verrou de la Contrepartie Extérieure (autofreinage du système) :
La seconde loi est le Verrou de la Contrepartie Extérieure, une sorte d’autofreinage du système productif lié à sa dépendance et qui se traduit par l’impossibilité de réussir un programme de développement.
-Sur le plan agricole, la modernisation ne requiert pas seulement l’importation des machines et autres intrants. En améliorant le revenu des paysans, elle modifie en même temps leur profil de consommation, les poussant à acheter à leur tour des vestes, des téléphones, etc. Et comme ils sont très nombreux, la moindre augmentation de leur revenu décuple la demande d’importations et précipite la balance extérieure dans un déficit durable…
Il en découle une impossibilité de développer les exploitations moyennes et système agricole en U si commun aux pays sous-développés, avec d’un côté une poudre de petites plantations, de l’autre côté une poignée de grosses exploitations, et un immense vide au milieu.
Cette analyse s’étend aux fameux « projets structurants » et autres avatars (industries « industrialisantes », pôles de développement, Grands Projets, etc.)
Sur le plan de la consommation, le Verrou s’exprime par une impossibilité de relancer la demande intérieure, car toute amélioration des salaires suscite une demande qui s’adresse en priorité à l’extérieur, et menace d’entraîner l’endettement du pays.
7. Le découplage entre rentabilité et survie d’une entreprise
Une entreprise dont l’outil de production est importé a beau être financièrement rentable, sa survie ne dépend pas de cette rentabilité, mais de la capacité du pays à importer en permanence les machines. Par exemple, la SONEL ne peut fonctionner qu’en important des turbines et des transformateurs d’Europe. Mais pour acheter ces machines, il faut présenter le cacao (ou toute autre matière première) et non l’électricité que la SONEL produit. Il en découle que l’effondrement des recettes extérieures plonge immédiatement le pays dans l’incapacité d’acheter ces appareils, entraînant la faillite massive des entreprises nationales, indépendamment de la qualité de leur gestion.
Ainsi, l’effondrement des entreprises camerounaises dans les années 90 et l’atonie des rescapées ne viennent pas seulement de la mauvaise gestion de leurs dirigeants, mais aussi et surtout, parce qu’elles produisent essentiellement pour le marché intérieur, en laissant le soin au secteur minier et à l’agriculture d’exportation de leur acheter les machines qui leur permettent de fonctionner…
C’est également cette circonstance qui affaiblit l’attractivité des Investissements Directs Etrangers, et non la gouvernance comme le prétendent les partenaires extérieurs.
8. L’irréversible plongée dans un endettement irréversible
Le surendettement est la conséquence des déficits cumulés de la balance des paiements. En effet, quand un pays tombe dans un état occlus, ses capacités d’exportation s’anémient au même moment que s’intensifie sa demande d’importation, alimentée par les besoins de maintenance de l’appareillage déjà construit, l’augmentation mécanique de la demande due à la croissance de la population et les effets de la scolarisation et de l’urbanisation qui amplifie la consommation des biens manufacturés.
D’où une croissance explosive des besoins d’importation et un basculement brutal de la balance extérieure, dans un déficit durable : les déséquilibres cumulés de la balance des paiements sont reconvertis en une dette massive. Cet endettement explose avec les intérêts, les intérêts de retard, les intérêts cumulés, les intérêts des intérêts, les coûts des moratoires, des renégociations, des mutations, etc.
La communauté financière internationale amorcera une opération de sauvetage en deux volets :
-La Restauration des grands équilibres, par la réduction du « train de vie » de l’Etat, la rationalisation du fonctionnement la liquidation ou la privatisation des entreprises publiques, généralement surdimensionnées , souvent créées par vanité nationale et qui reproduisent les tares de l’administration centrale dont elles ne sont qu’un appendice.
-Le Desserrement de l’endettement extérieur : une fraction trop importante du budget est consacrée au service de la dette, et, ce remboursement ne permet pas toujours de couvrir les intérêts, le capital n’étant pas entamé. Le service de la dette amputait les maigres devises qui entretenaient cahin caha les investissements déjà réalisés, ce qui, non seulement détruisait la moindre perspective de croissance, mais réduisait le patrimoine productif insuffisamment entretenu. Le désir de payer la dette avait pour effet de réduire les capacités de la payer davantage ! La pauvreté explosait.
9. Effets de l’Ajustement
Les ajustements ont considérablement amélioré le fonctionnement des systèmes productifs d’Afrique, englués dans des idéologies nationalitaires, repliés sur eux-mêmes et sur leurs certitudes, bloqués politiquement.
Mais ils ont seulement agi sur les gaspillages et les disfonctionnements, et la portée des réformes s’est limitée aux gains de devises que pouvaient dégager l’amélioration de la gouvernance, et quelques remises gracieuses de dettes.
En d’autres termes, l’ajustement du FMI est venu transformer des pays moribonds, non pas en systèmes économiques vivants appelés à récupérer de leurs fonctions vitales pour renouer avec la croissance, mais en d’espèces de zombies se mouvant au gré des aides extérieures, d’une remise de dettes ou d’une trouvaille minière, sans âme et sans vie.
10. Les problèmes du budget de l’Etat
Les états occlus se caractérisent par un certain de problèmes budgétaires inexplicables, dont notamment la sous-consommation du crédit, traité dans l’article annexe (Sous-consommation des crédits).
11. La désillusion et la recherche des boucs émissaires
Un pays en état occlus développe une mentalité du soupçon et reste très sensible à une poignée d’explications émotionnelles. Le raisonnement est le suivant : en appliquant les mêmes recettes que la Corée du Sud qui a réussi, il n’y a objectivement aucune raison pour que le Cameroun ou le Kenya ne se développent à leur tour. Tout échec ne pourrait provenir que des manigances des anciens pays coloniaux, l’incompétence des élites locales ou les tares traditionnelles du tribalisme, de la démographie lapine ou du refus du développement.
Ces échecs conduiront le pays à voguer alternativement du délire victimaire quand ils accusent l’ennemi extérieur, à l’auto-flagellation quand ils se culpabilisent de leur propre incapacité, mais aussi à adopter une interminable série d’expériences: Conférences nationales et internationales, bonne gouvernance, approche participative, démocratisation politique, libéralisation, ouverture des frontières, plans d’ajustement, initiatives PPTE, Point d’Achèvement, activisme des ONG, OMD, etc.
Le pays devient le siège d’un acharnement thérapeutique des partenaires extérieurs.
Les échecs répétés finissent par altérer la confiance des populations en elles-mêmes et développent une mentalité pathologique collective qui secrète l’hostilité au mérite, l’hégémonie des réseaux d’allégeance et de corruption, la promotion des valeurs de prédation, la cupidité, le goût de la facilité, le mensonge, la vanité, la haine de l’intelligence et le mépris de la pensée.
12. Tentatives de solutions
Un grand nombre de solutions a été tentée. Après une interminable et douloureuse thérapie du FMI et de la Banque Mondiale, le Cameroun a repris avec la gestion à long terme, en élaborant notamment une Vision dont l’objectif est faire du Cameroun, en 2035, un « pays émergent, démocratique et fier de sa diversité ».
Pour décliner cette Vision, les pouvoirs publics ont confectionné un Document Stratégique de la Croissance et de l’Emploi.
Ces travaux ont correctement posé les problèmes du développement du Cameroun, mais ils se sont limités à des aspects de second ordre qui relèvent de la bonne gestion, sans s’interroger dans l’architecture globale du système économique international et le rôle qu’y joue le Cameroun.
Ce faisant, ils ont évacué le de fond qui est la mauvaise insertion du Cameroun dans l’économie internationale. Cette mauvaise insertion est un problème de premier ordre, et il est radicalement impossible de bouger même d’un pouce tant qu’on ne lui trouve pas de solution.
13. La Solution Binaire
On peut réaliser la Vision, et même plus tôt que prévu en détruisant cette mauvaise insertion avec une technique binaire.
De fait, et tout le monde peut l’accorder, le Cameroun est capable de fabriquer un grand nombre de produits qu’il importe aujourd’hui, tels que les habits, les chaussures, les biens alimentaires, les ustensiles de cuisines, certains produits électroniques etc.
Il l’a fait naguère et peut également le refaire, mais la condition essentielle est que cette industrie ne soit plus sous l’effet rédhibitoire d’une compétition extérieure de plus en plus agressive et des importations-brocante particulièrement corrosives.
L’idée de base de la Monnaie Binaire est la suivante : au lieu de s’épuiser dans la recherche illusoire de la compétitivité, pourquoi ne pas simplement créer, à côté du CFA, une monnaie locale totalement inconvertible, de manière à ce que ces produits locaux puissent être vendus uniquement avec cette monnaie ?
De cette manière, une veste importée coûtera en FCFA, mais une veste cousue localement coûtera en cette monnaie locale. Les deux biens fonctionnant sur deux monnaies différentes et étanches, ne seront plus en concurrence et les vestes locales pourront prospérer dans le réseau local fondé sur la Monnaie locale.
14. Expériences de Monnaie Binaire dans le monde
Un système proche fonctionne en Suisse depuis 1934 où cohabitent de manière binaire le Franc Suisse et le WIR, et dans la ville américaine d’Ithaca qui fonctionne avec le dollar et les Hours depuis 1987. Ces systèmes furent conçus pour combattre le chômage et les délocalisations, mais on peut prouver qu’ils constituent également la solution au sous-développement de l’Afrique. Avec un tel système, le Cameroun devient immédiatement capable de stabiliser son système économique, de couper le cordon ombilical avec le FMI et la Banque Mondiale et surtout, d’atteindre spontanément un taux de croissance de 8% qu’on pourrait maintenir pendant 25 ans.
15. Fonctionnement de la Monnaie Binaire
Les prix sont libellés en double et un prix marqué 1000(600) signifie que le client doit libérer 1000FCFA dont 600FCFA en monnaie internationale.
- Chaque ménage va déployer ses achats vers les produits nationaux ou étrangers en fonction de ses réserves en FCFA ou en Euros.
-Les salaires de chaque entreprise comprennent les deux monnaies au prorata des parts du marché local et du marché extérieur.
-Les fonctionnaires et agents publics touchent les deux monnaies exactement au prorata de la production nationale et des exportations, de manière globale et de manière individuelle ;
-Les Banques Centrales gèrent deux monnaies complètement étanches ; mais les opérations sur les deux monnaies restent étanches et un opérateur surendetté en l’une peut être très liquide en l’autre, la banque le considérant comme deux personnes différentes.
16. Existe-t-il d’autres solutions pour le Cameroun ?
La réponse est non, car le pays est trop petit, trop en retard, trop éloigné des pôles industriels. Il ne peut pas appliquer les recettes des pays continentaux (Brésil, Russie, Inde, Chine), ni celles des pays voisins d’un grand pôle tel que le Japon (Corée du sud, Singapour, Taïwan).
Tout au plus peut-on espérer la découverte de quelques gisements de pétrole qui pourrait relâcher l’étau du commerce extérieur, mais seulement pour un temps.
Publié le 11/01/2011 à 18:47 par analysis
En 2005, j’avais annoncé qu’il n’existait aucun mécanisme humain susceptible d’entraîner le développement économique des pays africains dans les conditions actuelles. La raison est un théorème mathématique, le Grand Corollaire du Commerce International qui s’énonce ainsi :
On ne peut jamais avoir le développement de tous les pays dans un système fondé simultanément sur les quatre conditions suivantes :
(1) une totale mobilité des biens et des capitaux telle que prônée par l’OMC et les partenaires,
(2) les migrations contrôlées des populations, marquées notamment par des expulsions aux frontières
(3) l’équilibre de la balance des paiements
(4) la convertibilité des monnaies.
Ces quatre conditions conduisent à une polarisation des économies et à une impasse évolutive dont le sous-développement est la manifestation la plus dramatique. Celui-ci n’est donc pas la conséquence de la colonisation, d’un complot mystérieux ou de la mauvaise gouvernance qui n’en sont que des facteurs aggravants, mais la conséquence inéluctable d’une telle organisation.
Dans ces conditions, l’Afrique ne peut se développer qu’en obligeant quelqu’un d’autre à prendre sa place, ce qui, compte tenu de son immense retard et de sa segmentation en marchés très étroits, n’est pas envisageable.
En outre, cette polarité interdit à tout jamais que l’Europe et la Chine soient développées au même moment : soit l’Europe maintient son statut de zone développée, et la Chine reste la compagne fidèle de l’Afrique dans la pauvreté, soit la Chine se développe et oblige l’Europe à rejoindre l’Afrique à son misérable sort. Mais en aucun moment de l’histoire, les deux régions ne seront jamais développées au même moment.
Enfin, cette polarité rend impossible un système monétaire international stable : la recherche d’un tel système par les Chefs d’Etat européens, avec pour grand héraut le Président français Nicolas SARKOZY est une recherche vaine. Bien au contraire, du fait même de cette polarité nécessaire, le monde des échanges internationaux a à tout jamais changé. L’économie mondiale se caractérisera désormais par un nouveau de crise, récurrente et interminable, marquée par une croissance chaotiques des pays émergent et une décroissance heurtée des anciens pays centraux, avec à terme un renversement cataclysmique des anciennes hégémonies, mais aussi une instabilité de plus en plus grande.
Les prochaines années seront très, très dures pour l’Europe. La Monnaie Binaire offre la seule possibilité d’échapper à ce cataclysme.
Dieudonné ESSOMBA
Publié le 10/10/2008 à 12:00 par analysis
Encore une fois, vous vous interrogez, vous spéculez, vous avez peur. La crise financière occidentale ne va-t-elle pas entraîner l’effondrement de l’économie africaine déjà mal en point ?
Non, cette crise ne changera pas grand-chose à l’Afrique, ni en bien, ni en mal : on ne tue pas un cadavre.
Mais il y a une solution pour ressusciter nos économies : une solution radicale que je propose depuis de longues années,
la monnaie binaire.
La monnaie binaire apparaît comme la seule solution mathématique pour déverrouiller une économie en retard dans un monde basé sur quatre conditions :
[i]1. la libre circulation des biens et des capitaux,
2. les mouvements contrôlées des populations,
3. l’équilibre de la balance des paiements ;
4. la convertibilité de la monnaie.[/i]
N’importe quel monde avec ces quatre conditions ne peut fonctionner que s’il y a des pays développés et des pays sous-développés. On ne peut jamais, au grand jamais obtenir une évolution harmonieuse de tous les pays du monde avec ces conditions : il s’agit d’une impossibilité mathématique. Et si le monde se réduisait aujourd’hui à l’UE et les USA avec ces quatre conditions, l’un d’eux devra obligatoirement être bloqué et amorcer un processus de paupérisation et de sous-développement.
Dire aujourd’hui que l’Afrique peut se développer, c’est en même temps dire qu’une autre partie du monde prendra sa place pour devenir la zone la plus pauvre du monde, incapable d’évoluer. Qui serait-ce alors ? L’UE ? L’Amérique ? L’Asie du Sud-est ? On ne voit pas très bien comment cela peut se faire.
Les Programmes d’ajustement, les accords, les aides, les NEPAD, les OMD, les remises de dettes et toutes les autres tentatives n’ont absolument aucune chance de sortir nos pays de la misère. Et pendant tout ce temps, les gens vont s’appuyer sur une croissance basée sur des trouvailles minières pour se gargariser de mots creux et de statistiques fallacieuses et annoncer un impossible essor, alors que manifestement, nos économies deviennent de moins en moins capables de fabriquer la moindre aiguille…
La monnaie binaire reste le seul salut et son effet est foudroyant. Elle a des ersatz puisqu’elle existe sous des formes peu structurées de systèmes d’échange local (SEL) dans tous les pays occidentaux. Elle est très simple, très facile et sans coût.
Pourquoi ne pas l’appliquer ? Pourquoi ne pas l’essayer ? Pourquoi ne même pas en discuter ? Pourquoi ce silence de mort autour de cette proposition ?
Je vous en prie, mes frères : c’est la seule solution, l’unique dans les circonstances actuelles. Il n’y a pas d’autre. Il n’y a absolument pas d’autre ! Le reste n’est qu’illusion.
.
Publié le 06/10/2008 à 12:00 par analysis
THE BINARY CURRENCY, ONLY SOLUTION TO DEVELOPMENT AND GROWTH OF BLACK AFRICA
By Dieudonné ESSOMBA
Senior Engineer of Statistics
Ministry of the Economy, Planning and Territorial Development
essombamendzina@yahoo.fr
The underdevelopment may designate a "delay", a state of a community that had not yet absorbed productive techniques already common elsewhere. Indeed, the dissemination of innovations is not spontaneous and uniform; it may be hampered by an unfavourable socio-political organization, environmental difficulties or operational weaknesses. The delay results in a mass of shortcomings compared to its neighbours: lowest level of income, lack of infrastructure, low life expectancy…
This delay is rapidly absorbed as soon as the Community blows the constrictive factors to its evolution and its solution is a simple strategy for growth. This is the case of countries of Southeast Asia.
However, the delay may freeze in a curled state, a pathological situation where a country becomes radically incapable to develop any powerful industry. Such country is confined in peripheral economic sectors as primary production, trade and services. Its embryonic industry gradually dissolves and its growth rigidly aligns on the outside income (exports, aid flows) which, obviously, can not keep pace with the population. The economy, utterly locked, falls in unsustainable debt before diving progressively into a massive under-employment and the stagnation of its income.
This is exactly the case of Black Africa and to some extent, some Arab and Latin America countries which get jammed in their evolution.
The notion of jamming is taken here in anthropological perspective: if in past time, the delays were justified by the diversity of interpretations of nature, still marked by specific cultures, they look abnormal since Science and Technology became standardized. The universal diffusion of the same teaching to an assumed homogeneous Humanity meant that men trained in same schools with same engineering drawings should logically have equal access to the facilities offered by the same science they had studied under the same terms. Hence the legitimate expectation that a similar formation should lead anywhere and anytime to a similar living standard.
The factual impossibility to liquidate the underdevelopment consecrates the failure of this logic and the problem distilled around two lines of explanation: the first, locked in the logic of delay and based on a linear trend of development, continues to attribute the situation to operational shortcomings. After losing its credibility about 70, this axis has revitalized with the collapse of communism and forms the ideological backbone of international organizations (IMF, World Bank, WTO).
The second that covers a wide range of ideologies, from Marxism to Tiers-mondism describes the underdevelopment as a consequence of development, either because it reflects exploitation or because purely organic reasons. In net loss of speed since the break-up of the Soviet bloc, it is starting to point the nose with the failure of adjustment programmes.
Notwithstanding the valuable instruments of analysis they were able to make, the too ideological approach of these interpretations could not grasp the quintessence of the curled state.
Why is it so difficult to eradicate the underdevelopment? Someone can suspect a link between the curled state and the superiority of Western industry which has benefits of their advance to create a powerful industry which imposes a so hard hegemony that it is impossible to overcome by an emerging rival. The protection of economic spaces would be justified in this case.
But this explanation is also false as the fallacious theory of comparative advantages... The curled state is not the consequence of colonization, initial technological gap, worsening terms of trade, mysterious conspiracy, exploitation of the periphery by the centre or operational failures of the backward countries. These factors are accessory diseases which superimpose on a fundamental pathology that they increase the dramatic effects.
The curled state appears as an evolutionary impasse of an international economy based on four conditions:
-great mobility of goods and capital;
-controlled migrations of populations;
-balance of external trade;
-convertibility of the currencies.
These four conditions are incompatible with the harmonious development of an economic area, whatsoever. The curled state leads to a bizarre result: the backward countries are blocked, the advanced ones continue their development, but with an asymptotically weakened growth.
We must insist on this point that, certainly, will strike a lot of specialists: the curled state is genetically linked to the combination of these four conditions and would always appear regardless of historical contingencies. The History may explain why every part of the world has known this fate or this and why Africa found itself in the wrong camp, but it does not explain the phenomenon of underdevelopment. In this case, it could not be avoided, and if it has not been Africa, it would be someone else...
There is no possibility of removing the curled state if one at least of these four conditions is not eliminated.
1. The mobility of goods and capital
The flexible forms of protection of economic spaces are the quantitative limitations, taxation borders or subsidies. They are relevant only if the differences in productivity are small between the partners and its interest for a curled country is reduced to the adjustment of its balance of trade. Increasingly stigmatized by the WTO, they tend to disappear in favour of techniques based on monetary exchange rates.
The extreme forms, called disconnection and advocated once by some economists in the Third World, means the detaching from the economic international system. Such approach is interesting only if the country is very large, densely populated and well endowed with raw materials. The economy can achieve a great level of development, but as it no longer enjoys the benefits of the international trade, it drifts into what biologists call "island dwarfing," dispersing in a multitude of small businesses with low productivity.
2. Mobility of the workforce
For the movements of populations, it is not yet recognized that mobility must be the same for all factors and there is no objective reason, even in the economic tradition, to impose systematically the movement of capital while rationing the movement of labour, yet they are symmetrical.
This is very curious: all the conclusions of incense bearers of free trade derive from a symmetrical treatment of capital and labour in their analyses. Completeness methodological allegedly may have to analyze too, alongside the current international trade based on total mobility of capital and containment of the national workforce, another model which is symmetrical, with a total mobility of labour and confinement of national capitals.
As both factors are handled strictly symmetrical and the results are not related to the inherent peculiarities of each factor, the findings on the merits of a total mobility of people and not capital should be identical. While the mobility of men can cause more practical problems that capital, but such constraints are not included in the analysis and cannot, therefore, influence the outcome.
This symmetrical model is then invested with the same conceptual legitimacy and can also find it useful in regional groupings: the European Union offers the spectacle of each country fighting against the relocation, without being able to close its frontiers to foreign workers, which ultimately reverses the mobility of factors and presents itself as a mirror image of the current theory.
Naturally, as these incense bearers would not find the same conclusions, this simple test, in line at any point with their assumptions and their technical, disqualify permanently this mode of thought which it lays out the essentially wrong and hoaxing character.
The truth is that the international economic organization has become incompatible with the persistent ethnocentric vision of the nation, but the anthropological resistances are so strong that a solution based on the total mobility and non-discriminatory workforce still needs to wait decades...
3. The balance of payments
The international exchanges are, in principle, balanced, any exchange involving a symmetrical movement of goods with equivalent value. Then, an international trade permanently unbalanced would require the type of perennial subsidies found between regions within a country. In the international fields, these subsidies are hiding under the humanitarian disguise of development assistance. Obviously, the flawed nature of this solution is twofold, because on the one hand, it presents as a graceful gift a clumsy attempt to solve a fundamental economic problem; on the other hand it poses to citizens of developed countries loads whose impact is virtually zero from beneficiaries.
As you can see, the three conditions have no prospects for Africa. It remains the binary currency which accommodates with the trade liberalization, the fight against immigration and the segmentation of states.
The binary currency is the coexistence of two inconvertible moneys within the same economic area: a major currency, covering several countries and a minor one, with local extension. The price of any property is a couple of numbers: the first, in minor currency, reflects its local value-added, and the other, in major one, reflects its incorporated imports.
For example, any merchandise in Ghana has simultaneously two prices, the first in Cedi, the local currency, reflecting the local added value; the second in Euros traducing its included imports. A semi-finished good which has been imported from Europe for 100€ and undergoes transformations in Accra for 5000cedis will therefore cost 100€ and 5000cedis in Accra, with the obligation to the buyer to take the two currencies out of his pocket and present them to the saleswoman.
The underlying principle at the binary currency is the following: Ghana can produce tractors, trucks and machine tools it uses in its production system. Its engineers are able because they have studied in the same schools as the European ones who produce them. But as unfortunately, they would do it with few competitive prices, these industries are not viable.
Ghana is therefore compelled to be limited at peripheral activities of the industry: raw materials, services, bakeries…
Now simplify the problem and assume that Ghana produces millet it consumes and cocoa (raw materials) that it exports in exchange with tractors (tools of production). At first, everything works correctly: cocoa can import tractors enough to feed the population and maintain its plantations. The Ghanaian exterior trade is balanced.
Suppose now that its population doubles. The needs are doubled and therefore, it must double the number of tractors. But doubling the number of tractors guess we double the production of cocoa which must buy them, a situation not feasible because the Law of Four Pitfalls:
-the first pitfall is the availability of spaces for cultivation, as a territory is not expandable and moreover, millet, which is expected to double, is in competition with peanuts, which must also double;
-the second is the diminishing returns: the most profitable spaces already being exploited, the doubling of production requires more than twice the number of tractors;
-whether the territory permits to double the production and that the returns is not decreasing, it is not very sure that this greatest offer would result in proportional increased export revenues, as it can saturate the market and lead to a price reduction, especially when the population of the partners did not parallel doubled;
- Finally, the cocoa is a primary product which does not change, unlike the tractors. Over time, the value of a tractor in cocoa growing, but the performances are not necessarily in the same proportion as this improvement may be limited on the elements of comfort.
Whatever the case, Ghana will face one of these pitfalls and will never have as many tractors as it wishes. Its agricultural production locks at the level of its exports and, in the absence of a providential mine, a gracious gift or a healthy tourist beach, its economy has fallen into a curled state.
Large portions of the population are unable to find employment and begin to clog the economy, gradually transforming it into an informal magma. The only way out for Ghana is to force itself to produce this machines, and it may succeed as it has engineers whom many have studied in the same schools as European ones. Unfortunately, the technological environment, the little size of its indoor market and the enormous lags behind foreign competition would make its tractors too expensive, uncompetitive and unsustainable.
Under these conditions, unable to create a local industry because of foreign competition whose anteriority has created very difficult to reverse advantages, also unable to increase its exports based on its needs, Ghana find itself confined to peripheral activities of service or primary production whose potential for growth is very low. These few allowed sectors drain all funds and find themselves quickly clogged, plunging the economy into the informal, deteriorating savings, weakening more the productive system and has no prospect of development.
All attempts to get out Ghana of this situation will only hinder it further. The country, overdebt, may only outlive with international charity. The situation is so severe that it lost more and more its capacities and become unable to manufacture even its proper artisan products as in the past. Moreover, even if it has more engineers than a European country fifty years ago, it is unable to manufacture some engines which this one produced at that moment: Ghana is not backward, it is paralysed.
It is this kind of frozen delay, almost impossible to eliminate that is specifically state curled, dramatic form of underdevelopment.
Outing Ghana from this situation is not humanly possible under the current paradigms. The error of economists is to reason about words and concepts, losing their contact with reality. We speak to strengthen investment and forget that this concept is not separable from the possibility of producing viably, not the abstract properties of convoluted speeches, but televisions, cars, tractors and airplanes. It is precisely these manufactured goods that have a concrete existence which are prohibited, thus changing the terms of the problematic of investment in Africa.
It is not sufficient to proclaim: “invest!” You must also show in what product and prove that the investment would be viable and maintain the balance of external trade. So, if you see large spaces, don’t wonder why Africans does not increase their production! But, take your pen and calculate: African may import tractors, urea or pesticides, but they may pay them with farming products. So, you may assure that there is market for it.
However, this is not enough: you may also notice that if the farmers become richer with the increasing of their incomes, their consumption turn more to external merchandises, which make worse the balance of external trade… So, you may show that if investment is realised, it will be sufficient to pay the exports necessary to its construction and maintenance, and also the effects due to the profile modification of the internal demand.
This is what a lot of economists and international officials hate to do, locked at their parrot speech: “invest, invest, invest!” And when the constellation of adjustment projects and programs fails because absence of serious analysis, they accused Africans as cursed and incapable people.
It is unfortunately this mess in the thought that creates the serious weakness of multiples therapies and the inability to find solutions to the underdevelopment.
From this point of view, the improving governance, the establishment of democracy or the adjustment measures inspired by IMF could optimize the system and lead it to the expression of its maximum capacity, but soon this potential resolved, the economy would sink into a vegetative and sluggish growth, occasionally punctuated by a few jolts related to a discovery of a mine, the assistance or a remission of debts. No more.
Therefore, outing Ghana from this quagmire requires explanation patterns much more powerful, such as the following, taken from the inedited Theory of Cenoses.
We have seen that Ghana could produce tractors that are missing, but at very high costs, making such industry completely unsustainable. Suppose, however, than we can divide the Ghana whose population has doubled in two equal parts:
-The first one that conducts international trade as before, with an exterior balanced trade, the unemployment and a few congested areas.
-The second, completely isolated from the rest of the world, forced to make its tractors in isolation to produce its millet.
The first half will maintain the initial production, as the second is compounded with a supernumerary population whom the production was virtually nil. In its isolation, this second half is obliged to produce in more useful manner, even if the costs are higher.
The immediate consequence will be an increase in the total number of tractors and by extension, the global production. In addition, although the efficacy of the second half is lower, it has the unique feature to maintain growth and prevent the locking of the system, as it is protected by its isolation.
That is the principle of the solution: isolate the supernumerary fraction of the population that clog the few number of sectors that are authorized in a curled economy and build another economy, entirely autonomous.
But we can not cut a country so! And nobody has the right to impede the freedom, the intensification of trade and globalization. What to do?
This is where the binary currency intervenes. Indeed, it decouples exchange networks, creating in one hand, an economic system based on the national currency, where Ghanaian tractors are perfectly viable, on the other hand, an international system where only the imported tractors are purchased.
The system reproduces a barter economy without its weaknesses. The Ghanaian cocoa trades with the European tractors in the amounts corresponding to the European request. No more. The exchange with millet is not possible, as the millet has no demand in European consumption.
On the other hand, the local tractors exchange with millet, not with cocoa which has no relevance for local consumption. The system integrates two parallel trade networks, but that does not hinder one another and the economy does not lock.
Someone may think that as the bad money drives the good one, people would hide the euro. This idea is not valid because the binary currency is different from bimetallism by the lack of convertibility. The number of euros in the economy corresponds exactly to European imports and the more you hide, the more these imports down in benefit of local production.
The binary currency allows the quick of all economies in the world while boosting international trade. The solution does not cost virtually anything, even if it may pose some practical problems easily overcome.
Here are some principles:
- Each household will deploy its purchases to domestic or foreign goods in the strict proportion of its reserves in Cedi and Euros. With checks and electronic cards, the system is easier, but it also applies to banknotes. We can choose two colours, blue for the national currency, inconvertible with any money, yellow for the international currency, indefinitely convertible with the others currencies. So, the household knows that an imported costume costs 10 yellow banknotes, an entirely local one cost 10 blue banknotes, and a costume locally sewn with imported material costs 6 blue banknotes and 4 yellow ones.
-The salaries of each company include the two currencies in pro rata of their presence in the local market and the external market. The export company will release its earnings in international currency, the company turned to the local market in national one.
And it will be the same to all transactions, including agricultural products as cocoa paid in international, millet in local.
-The salary of each civil servant is compound of the local money in proportion of domestic production, the international one in proportion of the national exports.
-The central banks manage two completely inconvertible currencies. Only the local one is the subject of monetary policy, the transactions of international one would be limited to change. Commercial banks maintain their current process, with one difference: the accounts are denominated in double and operations in the two accounts are watertight. Thus, an operator overdebt in euros may be very provided in cedi, the bank considering that it is two different customers.
However, the system may function only in absence of any manipulation. First, the two currencies should be strictly proportional with domestic production and exportations, and effectively inconvertible by the legal financial system. On the other hand, the detention of Euros by an economic unit should be meaning a production that it has effectively produced and exported. The risk is that the greedy African elite takes advantage of the situation and confiscates all Euros, weaning the rest of the production system of the necessary imports for its development.
Under these conditions, the currency has a stupendous efficiency: a country like Nigeria would reach a growth rate of 9% in less than 3 years and continue for at least twenty-five years. Neighbouring countries, because of their smaller size would remain at 7% or 8%.
The rate could exceed 10% for the entire Gulf of Guinea if these countries agree to rid their borders of all barriers to the movements of people and goods and if they adopt a single binary currency.
And it is also in other blocked regions of the world, such as Latin America or the Arab countries whose huge oil production preserves from the radical misery.
As I publish my French articles about the Binary Currency, I would be inform that such experiences has been already applied in advanced countries, known as LETS: Local Exchange Trading System. A LETS is a binary currency established within a community association, whose members maintain a field of private exchanges with a domestic currency, while forming part of the major system. If the idea of LETS is present in Europe since 1930, it is the Scottish Michael Linton which gave it a real consistency. To fight against the severe unemployment on the Canadian island of Vancouver, he proposed to superimpose at the official currency an alternative one, the green dollar.
The experience obtained a fairly success and was reproduced across North America before spreading throughout the world through active promotion operations and Internet. The LETS are an attempt to fight again unemployment an industries delocalisation.
But we can demonstrate that the Binary Currency is the best solution to temperate the effects of Globalisation: in fact, we can see that the more the economy globalizes, the more the orientation of national industries reflects better the global forces that internal needs. The sudden threat of China on French clothing industry obliges France to recycle hurriedly its textile staff from this sector to another, which means to force a new configuration of the workforce it has not anticipated, nor desired. Besides the long chain of consequences of this restructuring, such as the anaemia of some academic sectors and the need for development of others, the collapse of certain areas in favour of new ones, and so on.
Ultimately, the actual pattern of employment in France, as resulted from its academic system, may be 10 computer scientists and 6 chemists while the requirements of the international economy impose the opposite configuration, 6 computer scientists and 10 chemists. France will then be forced to convert 4 scientists to chemists, and this is not always acquired, or to make a symmetrical movement, where the emigration of supernumerary national scientists is offset by the immigration of foreigner chemists.
The extreme scalability of technology and intensifying global competition lead to the inadequate or rapid obsolescence of expertise that recycling is not always possible for reasons of age, educational level or technical corporations’ partition.
The immediate consequence is a surge of increasingly intense migration in searching of a permanent adjustment between the offers and requests for manpower, through the sectors and the regions.
But even possible, recycling and migration have a very important financial and human cost. It follows a permanent gap between the very volatile demand of expertises, in line with the global economy and its less elastic offer, articulated at the academic system and committed to a certain geographical and technical stability.
This gap results in a permanent distortion of the labour market whose expression is the juxtaposition of an endemic unemployment with a huge need of specialists.
When the space is more homogeneous as North America, the migrations are a little easier, but if it is compartmentalized by linguistic borders as the EU, they become less fluid and the immediate effect is higher rate unemployment.
It is in this context that we find the LETS: they try to create an isolate economic, capable of operating in a context of globalization, without losing the benefits of this one. The globalisation, as we have seen, gives an economic system too volatile and completely antagonistic to the stability of jobs that must be sought because it is most consistent with the human as he appeared on earth. The extreme mobility of the workforce does not raise either the productivity or the material happiness as some economists, locked in their mystical flexibility, pretend. They find it more attractive, but it is not so at all. And any Professor of Economics, even committed to flexibility religion, would not like to go in the Universities one after the other with Determined Duration Contracts.
As we can see, the therapeutic field of Binary Currency covers the underdevelopment, but it is expanding to all countries with the excesses of globalization.
At the end of this article I will reiterate what I have always said that Black Africa's economy is locked and there is no solution in traditional economic theories that can remove this condition. The structural adjustments, the PPTE, the MDGs and NEPAD and so are simple gris-gris that cause major losses of time. At most, they can relieve the pain, not eradicate it. And if governance and democracy must be improved, it's more for other reasons than economic ones on which, in this case, they have no effect. With these methods, the development of Black Africa is radically impossible.
I add that the current Globalisation based on the four conditions has already generated curled state, but it will destabilise all economics in the world. The advanced countries hope to maintain their hegemony with free trade and protection of their territory again migrations, but this is foolish position. Because this kind of word is mathematical impossible.
For Africa at the end, I say it loud and clear, if the countries and their partners persist in their way of adjustment, NEPAD, PTTE and so on, except for a few enclaves oil or a few islands with specific advantages for tourism, no African country can maintain a growth rate of 5% for 5 years.
On the contrary, things will be very hard in the coming years.
There is only three ways:
-the complete isolation from the rest of the world, this is unacceptable;
-the political merging with Europe, this is unthinkable;
-the creation of the binary currency, while signing the EPA and all other agreements they wants, even the whole opening of borders; this is the best solution at present.